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Résumé du cours 

LA RECHERCHE DE SOI

2025



 

Il est frappant de constater que, dans leur vie quotidienne, la plupart des êtres humains orientent leur existence vers la recherche de biens : certains poursuivent des richesses matérielles, d'autres des réussites sociales, des plaisirs, voire des satisfactions intellectuelles. Pourtant, bien peu semblent préoccupés par la recherche d’eux-mêmes. Cela s’explique sans doute par une évidence trompeuse : chacun pense déjà se connaître. Qu’y aurait-il à chercher, en effet, quand on vit avec soi-même depuis toujours ?

Ce présupposé de transparence à soi est cependant fragile. Il suffit d’un doute, d’un bouleversement, d’un échec ou d’un face-à-face avec l’altérité pour qu’il se fissure. Surgissent alors des sentiments d’étrangeté, de désaccord intérieur, voire d’aliénation. Il ne va donc pas de soi ni de se connaitre ni d’être soi-même. La quête de soi apparaît alors sous un double aspect : elle est à la fois connaissance (qui suis-je ?) et affirmation (comment être pleinement moi ?). Dès lors, chercher à se connaître, c’est aussi vouloir se conquérir, se libérer peut-être, affronter ce qui entrave notre devenir propre. Ce processus peut aussi prendre l’allure d’un combat.

Mais quelles voies emprunter ? Faut-il définir une nature humaine universelle ? Explorer les replis de notre sensibilité ? Résister aux normes sociales ? Ou encore réaffirmer le corps et la vie contre les idéaux qui les dévalorisent ? A moins qu’un inconscient psychologique ou sociale nous barre définitivement l’accès à notre moi véritable.  Comment comprendre cette recherche de soi ? S’agit -il de se connaitre, de se réaliser pleinement ?

 

1/ La recherche de l'essence de l'Homme

 La recherche de soi peut d'abord se comprendre comme une interrogation sur la nature humaine, visant à établir ce qui constitue l’essence   de l'humain et ainsi à le différencier des autres êtres vivants.  Cette quête repose sur une interrogation:  qu'est-ce qui définit spécifiquement l'Homme ? 

Classiquement, l’Homme est défini comme un être doué   de raison, cette faculté qui lui permet de penser, de comprendre, de juger et de maîtriser ses désirs.   Or la raison ne se présente pas comme un don pleinement accompli, mais comme une potentialité qu'il appartient à chacun de cultiver et de développer. C’est ce message qu’Aristote transmet dans son œuvre L’Éthique à Nicomaque.  Il soutient que la finalité de l'Homme est d'accomplir la nature d'être rationnel, ce qui lui permet d’atteindre également son but ultime : le bonheur.

 

 

 

1/ La recherche de l'essence de l'Homme

 

La recherche de soi peut d'abord se comprendre comme une interrogation sur la nature humaine, visant à établir ce qui constitue  l'essence  L’essence désigne ce qui constitue la nature fondamentale d’une chose ou d’un être, c’est-à-dire ce sans quoi elle ne serait pas ce qu’elle est. Par exemple, l'essence du triangle est d'avoir trois côtés. Aristote oppose les caractéristiques essentielles et accidentelles. Pour le triangle, avoir un angle droit n'est pas essentiel, c'est un "accident." de l'humain et ainsi à le différencier des autres êtres vivants.  Cette quête repose sur une interrogation :  qu'est-ce qui définit spécifiquement l'Homme ?

 

 Chez Platon et Aristote, l’Homme est défini comme un être doué   de                              raison La raison est la faculté qui permet à l’Homme de penser, de comprendre, de juger, et de maîtriser ses désirs. Pour Aristote, c’est cette faculté qui distingue l’Homme des autres êtres vivants.           , cette faculté qui lui permet de penser, de comprendre, de juger et de maîtriser ses désirs.   Or la raison ne se présente pas comme un don pleinement accompli, mais comme une potentialité qu'il appartient à chacun de cultiver et de développer. C’est ce message qu’Aristote transmet dans son œuvre  L’Éthique à Nicomaque.  Il soutient que la finalité de l'Homme est d'accomplir la nature d'être rationnel, ce qui lui permet d’atteindre également son but ultime :                       le bonheur Le bonheur, chez Aristote, est le but ultime de la vie humaine. Il s’atteint en accomplissant pleinement sa nature d’être rationnel et en vivant selon les vertus. .



 

 2/ La recherche d'une définition du "moi"

 

Toutefois, chercher à établir la nature spécifique de l’Homme, en s’appuyant sur sa faculté rationnelle ou sur d’autres caractéristiques générales comme la perfectibilité La perfectibilité est un concept central dans la pensée de Jean-Jacques Rousseau. Il désigne la capacité propre à l’être humain de se transformer, de progresser et de s’améliorer, mais aussi de se corrompre et de se pervertir. Contrairement aux animaux, dont les instincts sont fixes, l’homme est doté d’une plasticité qui lui permet d’apprendre, de développer des compétences, et de s’adapter à son environnement. mise en avant par Rousseau ne permet pas encore de définir un « moi » unique et personnel, sa singularité, ce qui constitue                                l'heccéité L'heccéité est un concept philosophique proposé par Duns Scot. Il désigne ce qui rend un être ou une chose irréductiblement unique et singulier, ce qui le distingue de tout autre, même au sein d’une même essence ou espèce.   de chaque existant.

Cette quête d’individualité soulève une question essentielle : qu’est-ce qui fait de chaque être humain une personne singulière et non un simple exemplaire d’une nature commune ?

                                Le Romantisme Le romantisme est un mouvement culturel, artistique et littéraire qui émerge à la fin du XVIIIᵉ siècle et atteint son apogée au XIXᵉ siècle. Il se caractérise par une réaction contre les idéaux de la raison et de l’universalité hérités des Lumières, en valorisant l’expression des émotions et des passions individuelles, le retour à la nature, souvent perçue comme un refuge face à la civilisation industrielle, et l’exaltation de la subjectivité et de l’imaginaire. , en réaction au rationalisme des Lumières, met l’accent sur les sentiments, l’imagination et l’intériorité comme éléments constitutifs de cette singularité. Les romantiques rejettent l’idée que la raison suffirait  à déterminer la nature de chaque individu. Ils valorisent l’expression de l’émotion et la quête intérieure comme moyen d’accéder à un « moi » authentique. Par exemple, chez Rousseau, précurseur du Romantisme, l’introspection et le retour à soi permettent de découvrir une vérité intime, non altérée par les artifices sociaux. Dans cette perspective, les sentiments deviennent une clé pour comprendre l’individualité et affirmer la spécificité de chaque existence.

 




        3/ L'expression de la sensibilité et la normativité de la société

 

  L'expression de la sensibilité constitutive de l'identité personnelle se heurte au caractère normatif Le terme normatif désigne ce qui établit ou impose des normes, c'est-à-dire des règles ou des critères servant de référence pour déterminer ce qui est jugé "normal" ou "acceptable". de la société.  Cette tension entre l'individu et la société est mise en évidence par Michel Foucault. Dans son analyse du pouvoir et des institutions disciplinaires, introduit des concepts clés comme le biopouvoir Concept central chez Foucault, désignant une forme de pouvoir qui s'exerce non pas par la force brutale, mais par la gestion, le contrôle, et la régulation de la vie des individus et des populations. et le                                           panoptique Métaphore illustrant un mécanisme de contrôle subtil basé sur une surveillance potentielle constante. Provoque une autodiscipline : les individus finissent par adopter spontanément les comportements attendus, même sans surveillance directe. pour expliquer comment les comportements individuels sont façonnés par des structures de contrôle.

Le concept de biopouvoir Concept central chez Foucault, désignant une forme de pouvoir qui s'exerce non pas par la force brutale, mais par la gestion, le contrôle, et la régulation de la vie des individus et des populations. désigne le mode de gouvernance qui s’exerce sur les corps et les populations.

Foucault illustre cette logique de contrôle par la métaphore

          du                             panoptique Métaphore illustrant un mécanisme de contrôle subtil basé sur une surveillance potentielle constante. Provoque une autodiscipline : les individus finissent par adopter spontanément les comportements attendus, même sans surveillance directe. , un modèle architectural imaginé par Jeremy Bentham pour les prisons.

Ainsi, les institutions disciplinaires ne se contentent pas d’imposer des règles externes : elles internalisent ces règles dans les individus eux-mêmes. Ces derniers, croyant agir librement, se plient en réalité à des normes qui limitent leur capacité à développer une identité véritablement autonome. Cette normalisation peut conduire à une                            aliénation L’aliénation est un processus dans lequel un individu perd son autonomie ou sa maîtrise de soi au profit d’une force extérieure (sociale, économique, culturelle). Il agit selon des normes ou des attentes qui ne reflètent pas ses aspirations profondes ou son identité véritable. .

En analysant ces mécanismes, Foucault met en lumière la manière dont le pouvoir, loin d’être uniquement répressif, devient productif : il produit des comportements, des attitudes et des identités. Cette normalisation Processus par lequel les individus intègrent et reproduisent les normes sociales. Ce pouvoir façonne les individus de manière proactive, en influençant leurs choix et en définissant les cadres dans lesquels ils évoluent. invite à interroger les normes sociales pour reconquérir une forme d’autonomie.


4/ La découverte de soi par l'affirmation du corps et de la vie

 

Pour Nietzsche, ce n’est pas seulement l’influence de la société qui aliène l’individu, mais aussi celle de la philosophie et de la morale dominantes. Il critique particulièrement la tradition philosophique héritée de Platon, marquée par l’idéalisme et l’idée d’un "arrière-monde", un au-delà abstrait supposé supérieur à la réalité terrestre. À cela s’ajoute la morale chrétienne, qui  dévalorise le corps et des instincts vitaux au profit d’idéale ascétique.

Ces deux influences, selon Nietzsche, se conjuguent pour dévaloriser le corps et la vie, considérés comme des obstacles à la quête de perfection spirituelle. Il s’agit donc de renverser ces valeurs en affirmant la pleine positivité de la vie et en reconnaissant l’importance fondamentale du corps, que Nietzsche appelle la "grande raison". Le corps, loin d’être un simple support matériel, est pour lui la source de notre force vitale et de notre créativité, un guide authentique vers une existence épanouie et enracinée dans le réel.

Dans Ecce Homo, Nietzsche souligne que la véritable recherche de soi ne peut se faire en niant les aspects corporels de l’être humain. Pour lui, l’idéal ascétique et les idéaux métaphysiques, en prônant le rejet du corps et des désirs, mènent à une forme d’aliénation. Ces idéaux, qui prétendent libérer l’homme, le détournent en réalité de sa nature profonde et de sa puissance créatrice. Nietzsche rejette cette vision comme une expression du ressentiment, une stratégie  des plus faibles pour affaiblir les forces vitales et maintenir les individus dans une forme de dépendance morale ou religieuse.

Il propose, au contraire, un retour à une existence où l’individu affirme pleinement son corps, ses instincts et son lien au monde. Cet enracinement dans les réalités corporelles et environnementales est, selon lui, la clé pour atteindre une autonomie authentique et une vitalité véritable. Nietzsche célèbre la force, la santé et l’intensité de la vie, qu’il considère comme des valeurs fondamentales pour la réalisation de soi. L’homme accompli, ou le surhomme (Übermensch), n’est pas celui qui aspire à une transcendance hors du monde, mais celui qui embrasse pleinement la vie terrestre, avec ses épreuves et ses joies, et qui transforme ces expériences en sources de création et d’affirmation. 

 

Ainsi la recherche de soi implique donc une réévaluation constante des valeurs et des croyances imposées par la société ou la tradition. Cette démarche, qu’il qualifie de « transvaluation des valeurs», exige un courage radical pour remettre en question les certitudes établies et pour forger ses propres valeurs, en accord avec sa singularité et son potentiel créatif.

Ainsi, pour Nietzsche, la recherche de soi est un processus dynamique et conflictuel. Elle ne consiste pas à chercher un « moi » stable ou une essence immuable, mais à affirmer son existence à travers un acte de création constant qu'il synthétise dans sa formule "Deviens qui tu es". 




5 / La recherche de soi à l’épreuve de l’inconscient

 

La quête de soi semble a priori impliquer une démarche consciente : prendre du recul, réfléchir à ses valeurs, ses émotions ou ses choix, explorer son passé ou ses aspirations. Pourtant, cette perspective,  est radicalement remise en cause par la psychanalyse, en particulier dans l’œuvre de Freud. Celui-ci affirme que le sujet n’est pas transparent à lui-même : il existe en chacun une part inconsciente, active et déterminante, que la conscience ne peut pas maîtriser. Dès lors, se connaître exige des nouvelles méthodes, de nouvelles approches que Freud développe avec la psychanalyse, cela passe notamment par une confrontation avec des contenus psychiques refoulés, souvent dérangeants, qui influencent nos désirs, nos peurs et nos comportements.

Freud établit une première rupture avec la conception classique de l’homme, notamment celle de Descartes, selon laquelle l’homme est une conscience libre, distincte du corps, et capable de se gouverner par la raison. Il montre, à partir de cas cliniques comme celui d’Anna O., que des troubles physiques (paralysie, aphasie, phobie) peuvent exprimer des conflits psychiques inconscients, liés à des souvenirs traumatiques refoulés. Ainsi, les « hystériques souffrent de réminiscences » : ce ne sont pas les organes qui sont malades, mais l’esprit qui, incapable d’exprimer certains vécus, les transforme en symptômes corporels. La conscience ne gouverne donc pas l’ensemble de notre vie psychique ; au contraire, elle est souvent débordée par ce qui échappe à son contrôle.

Freud développe alors une conception tripartite du psychisme à travers deux topiques. Dans la première, il distingue le conscient, le préconscient et l’inconscient: ce dernier contient les désirs, pensées et souvenirs refoulés, refoulés parce qu’inacceptables pour la conscience. Dans la seconde topique, Freud décrit une lutte interne entre trois instances : le ça, réservoir pulsionnel orienté vers le plaisir immédiat ; le surmoi, intériorisation des interdits sociaux et moraux ; et le moi, chargé de composer avec la réalité et de gérer ces conflits internes. Loin d’être un centre unifié, le sujet est divisé, traversé de tensions. Cette structure remet profondément en cause l’idée d’un moi stable, maître de lui-même.

La conséquence majeure de cette découverte est une forme de décentrement radical : l’homme n’est pas maître dans sa propre maison. Il ne peut pas prétendre atteindre une pleine connaissance de soi par la seule introspection . Au contraire, il doit interroger ses rêves, ses lapsus, ses symptômes, ses résistances, c’est-à-dire toutes les manifestations indirectes de l’inconscient. Freud invente pour cela une méthode, la psychanalyse, fondée sur des techniques comme l’hypnose, l’association libre ou l’interprétation des rêves. Il ne s’agit plus de chercher un « vrai moi » qui serait caché sous les apparences, mais de déplier une histoire singulière, souvent marquée par des conflits affectifs précoces (comme le complexe d’Œdipe), et par des mécanismes de défense.

Dès lors, la recherche de soi devient une tâche longue, incertaine et souvent douloureuse. Elle suppose de traverser des zones d’ombre, de reconnaître que nos choix et nos attachements sont parfois guidés par des logiques inconscientes. Elle remet aussi en question l’idée d’une liberté totale : nous ne sommes pas entièrement responsables de nos désirs, mais nous pouvons apprendre à les comprendre pour mieux les orienter. Ainsi, Freud ne nie pas la possibilité d’une individuation, mais il en déplace les conditions : pour être soi-même, il faut d’abord accepter de ne pas tout savoir de soi.

 

 

 

Conclusion: 

Ainsi on peut envisager la recherche de soi à travers des perspectives multiples, qui dessinent ensemble une quête complexe . Elle est tout d’abord quête d’une essence universelle, dans la tradition philosophique qui cherche ce qui définit l’humanité en général. Elle est aussi exploration intime des sentiments et de la sensibilité, dans une tentative de dévoiler un moi singulier, irréductible à des normes abstraites. Elle implique encore une confrontation avec les normes sociales, qui façonnent l’individu parfois à son insu, et dont il faut s’affranchir pour affirmer son identité propre. À cela s’ajoute la reconquête du corps et de la vie, contre les idéaux qui en dénigrent la valeur et éloignent l’homme de son enracinement vital. Mais cette quête serait incomplète sans la prise en compte de l’inconscient, cette part obscure de nous-mêmes qui agit en dehors de la conscience et oriente nos désirs, nos choix et nos conflits. Se chercher, c’est aussi affronter ces zones d’ombre pour espérer gagner en lucidité. Ainsi, la recherche de soi apparaît comme un processus à la fois rationnel et affectif, individuel et social, où l’individu oscille en permanence entre héritage collectif et singularité personnelle, entre dépassement de soi et acceptation de ses limites.


Références bibliographiques 

 

1: Platon  Phèdre, 253 c

2: Aristote, Politique, Livre I, chapitre 2

3: Aristote Ethique à Nicomaque,  Livre I, chapitre 7

4: Jean Jacques Rousseau Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les Hommes, 1ère partie.

5: Duns Scott Questions sur les livres de la Métaphysique d'Aristote"    Livre VII

6:  Michel Foucault  -  Sur le modèle panoptique : Surveiller et punir : Naissance de la prison . Sur le biopouvoir, Histoire de la sexualité (1976) , première partie : La volonté de savoir.

7  Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles (1889)  critique des "arrières mondes" ;

Généalogie de la morale  (le renversement des valeurs)  ;   Ainsi parlait Zarathoustra (le corps est la grande raison) Ecce Homo    (deviens qui tu es).




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