La conscience et la connaissance de soi
COURS 1 Les différentes dimensions de la conscience: Que signifie l'expression : "être conscient"
Introduction
On admet que la conscience constitue l'une des caractéristiques principales de l'Homme mais cette notion reste ambiguë en raison de sa polysémie (elle a plusieurs sens).De plus, sa terminologie change selon les auteurs.
Il est donc nécessaire de clarifier cette notion de façon précise. Pour commencer l’analyse, nous allons examiner les différentes significations de cette notion en nous appuyant sur les expressions du langage courant.
Exercice 1 :
- Recherchez des expressions courantes comprenant le terme conscience, puis des synonymes et des antonymes.
- Notez à côté des expressions leurs sens.
- Soulignez avec une même couleur les expressions qui relèvent d’un même champ de signification. (ex : "avoir bonne conscience" , "avoir un poids sur la conscience" --> ces deux expressions relève du champs de la morale.) Pour vous aidez concernant les "champs", voir notamment les perspectives dans le programme.
Correction :
Voici une liste d'expressions courantes que vous avez sans doute trouvé :
Agir en son âme et conscience ; avoir sa conscience pour soi ; avoir la conscience tranquille, perdre conscience ; reprendre conscience ; avoir bonne conscience ; avoir un poids sur la conscience ; prendre conscience; Prendre conscience.
Les termes antonymes au terme conscience : "être inconscient" ; "agir de façon inconsciente"
Des champs de signification apparaissent:
- La morale
- La connaissance, le savoir
- L'existence humaine
Nous pouvons à partir des éléments mis en évidence par cette analyse établir les différents aspects de la notion
I/ Les différents aspects de la conscience :
A/ La conscience morale :
Les expressions courantes telles qu'« avoir bonne ou mauvaise conscience », « avoir la conscience tranquille » ou encore « agir en son âme et conscience » font référence à ce que l’on nomme la conscience morale.
Il s’agit d’un jugement intérieur que l'on porte sur soi, sur ses actes. Pour évoquer cette conscience morale, Kant utilise la métaphore d’un « tribunal intérieur » auquel on ne pourrait rien cacher. Texte de KANT
b/ La conscience immédiate:
Toutefois cette conscience morale n’est possible que dans la mesure où l’Homme sait ce qu’il est en train de faire[2] et peut ensuite se souvenir ou réfléchir sur ce qu’il a fait. Cela renvoie à un autre aspect de la conscience humaine. La conscience constitue ici la faculté de se percevoir soi-même en train de penser ou d’agir. On peut ainsi définir la conscience comme la perception de soi-même et du monde qui nous entoure.
Dès que nous sommes éveillés, nous percevons le monde qui nous entoure et nous nous percevons nous-mêmes dans cet environnement. Nous savons ce qui « se passe » et ce que nous sommes en train de faire ou de penser.
Par exemple, j’écris et je sais que je suis en train d’écrire. Cette « conscience psychologique » permet d’être présent au monde et à soi même. Ainsi les expressions telles que : "perdre conscience" ou "reprendre conscience" montrent qu’il existe pour l’Homme des modifications de son état de conscience. Lorsqu’on est parfaitement éveillé, on est conscient mais à l'inverse lorsqu’on est plongé dans un sommeil profond ou bien dans le « coma », on n’est plus conscient de ce qui se passe. On parle d'une perte de conscience ou de connaissance. Plongé dans un état d’inconscience, toutes les sensations internes ou externes s'évanouissent.
Le terme "inconscient" est lui-même polysémique. Une personne inconsciente peut désigner une personne accidentée par exemple qui a « perdu connaissance » mais le terme désigne aussi une personne qui ignore les dangers et agit d’une façon que l’on juge irresponsable. (Il est inconscient !) Enfin, l’inconscient peut désigner selon Freud une partie du psychisme qui ne peut être directement connue mais qui influence la pensée et les choix de l’individu. (Voir le cours sur l'inconscient)
C/ La conscience de soi :
Enfin, il faut souligner que lorsque nous percevons le monde extérieur ou nos pensées, nous nous référons implicitement à nous-mêmes. C’est moi qui écrit, c’est moi qui perçoit, qui ressent ou qui pense. La conscience est toujours intimement liée au moi ou à ce qu’on appelle un sujet. Pour préciser cette dimension de la conscience, on utilise alors le terme conscience de soi que l'on peut définir comme la représentation qu’un sujet à de lui-même. Cette conscience de soi est alors étroitement associée à l’identité personnelle.
Tableau récapitulatif:
Bilan :
On peut constater qu'au travers des différentes signification que comporte le terme conscience, celle-ci apporte à l'Homme une forme de savoir ou de connaissance.
Ainsi il semble possible d’affirmer que la conscience apporte à l'Homme un savoir comme le suggère l’étymologie. En effet, le terme conscience vient du latin Cumscientia. Cum signifie avec et scientia désigne la connaissance, le savoir. D'après l'étymologie, la conscience est donc « le savoir qui nous accompagne ». Cette idée se retrouve également dans la définition générale donnée au terme conscience : « La connaissance que l’esprit a de lui-même et de ses propres opérations. » [5] Cependant nous allons s voir que tout n'est peut être pas aussi simple ...
2 / Problématique:
Si la conscience nous apporte un savoir, nous pouvons nous interroger son objectivité. Est ce que ce que l'on pense savoir correspond bien à la réalité ? Ne sommes nous pas au contraire dans l'illusion ?
Pour élaborer plus précisément cette problématique, on peut travailler sur la question : "Suis-je le mieux placé pour me connaître ?"
Exercice 2 : Trouvez des arguments qui répondent par l’affirmative puis par la négative à la question « suis-je le mieux placé pour me connaître ? » Les classer dans un tableau.
Voir la correction :
La conscience nous ouvre les portes du monde de l’intériorité, « elle nous donne accès à notre for intérieur (les pensées intimes, les désirs, les souvenirs, les projets). Elle permet de former une représentation de soi-même et l’on pourrait alors penser que grâce à la conscience, il est possible de découvrir qui nous sommes véritablement. Les autres personnes ne connaissent, en première analyse, de nous les apparences et ce que nous laissons entrevoir aux autres.
Ainsi l’on serait tenté de penser que grâce à la conscience chacun d’entre nous est le mieux placé pour se connaître pourtant l’objectivité de ce savoir peut être questionné et remis en cause.
Prenons l’exemple de la dysmorphophobie. C’est un trouble dans lequel une personne croit qu’elle a un défaut physique majeur alors qu’il n’est est rien. La perception que la personne se fait d’elle-même ne correspond donc pas avec la réalité. On peut également citer les exemples de personnes qui exagèrent leurs défauts ou leurs qualités.
Ainsi, s’il est vrai que l’on compare souvent la conscience avec un miroir qui permettrait de se voir intérieurement, on peut aussi en suivant cette métaphore s’interroger et se demander si ce miroir n’est pas déformant ou s’il ne comporte pas des taches « aveugles » qui ne renvoient aucune lumière.
En résumé on peut se demander si la conscience nous donne-t-elle accès à une véritable connaissance de nous-mêmes ? On peut décliner cette problématique sous différentes questions : Peut-on établir une équivalence entre la conscience de soi et connaissance de soi ? La conscience peut-elle tout révéler sur nous-mêmes ? Le risque d’illusion n’est-il pas particulièrement important sur ces questions ?
Exercice 3: Cherchez des arguments sur le sujet:
La conscience apporte-t-elle des certitudes ou des doutes ?
NOTES
[1] Sur l’origine de cette conscience morale à voir le cours sur le devoir
[2] On ne peut juger que notre action est « bonne » ou « mauvaise » que si on est conscient d’avoir réalisé cet acte.
[3] Pour la connaissance de l’environnement et du monde extérieur à voir le cours sur la vérité.
[4] Pour la connaissance des valeurs morales (le bien/le mal) à voir le chapitre sur la morale.
[5] Voir le lexique : La philosophie de A à Z
Avant d’analyser les textes philosophiques, il faut d’abord distinguer trois notions essentielles pour penser l’identité personnelle :
L’unité : être un seul et même être, et non une somme de fragments disparates. Cela suppose une cohérence de notre existence dans le temps.
L’unicité : être irremplaçable. Personne ne peut vivre ma vie à ma place.
L’ipséité : mot dérivé du latin ipse (« soi-même »). Cela désigne la conscience réflexive de soi, ce qui fait que je me reconnais comme moi-même, malgré le changement.
👉 Problématique : Ce que nous appelons "moi" ou "je" est-il une réalité stable et connaissable ? Ou bien s’agit-il d’une construction instable, voire illusoire ?
Texte : L’énergie spirituelle (1919)
« Toute conscience est donc mémoire – conservation et accumulation du passé dans le présent. Mais toute conscience est anticipation de l’avenir. »
Pour Henri Bergson, la conscience est inséparable de la mémoire. Ce que nous appelons "moi" n’est pas une substance immobile, mais une durée vécue, une continuité intérieure.
Il ne s’agit pas de la simple mémoire-factuelle, comme une boîte à souvenirs figée. Il s’agit de ce qu’il appelle la mémoire vécue ou mémoire pure : un enchaînement dynamique de nos expériences qui se modifient les unes les autres.
🧠 Exemple concret :
Vous êtes aujourd’hui différent de l’enfant que vous étiez. Mais ce changement ne vous rend pas totalement autre. La conscience lie tous les moments vécus.
Si vous entendez aujourd’hui une chanson de votre enfance, cela fait resurgir une émotion enfouie, et vous reconnaissez que c’était vous, même si vous avez changé.
La conscience est tournée vers l’avenir. L’attention est une forme d’attente. Nous anticipons constamment les conséquences de nos actes, les réactions possibles d’autrui, les projets que nous voulons mener.
👁️🗨️ Exemple :
Lorsque vous répondez à une question en classe, vous ne vous contentez pas de formuler une pensée. Vous imaginez aussi l’effet qu’elle aura sur le professeur ou vos camarades. Vous projetez une image de vous-même.
Cette anticipation est une forme d’engagement dans l’avenir, une preuve que notre conscience ne se contente pas d’être passive, mais oriente notre action.
Bergson nous invite à penser l’identité non comme un bloc figé, mais comme un mouvement continu, une évolution constante. Cela s’oppose à l’idée classique de l’âme immuable chez Descartes.
Être soi-même, c’est devenir soi, en intégrant son passé, ses transformations, ses choix.
🧩 Exemple littéraire : Proust, À la recherche du temps perdu
Le narrateur, en goûtant une madeleine, voit surgir une foule de souvenirs oubliés. Il comprend que son identité n’est pas dans ce qu’il croit être au présent, mais dans la mémoire involontaire, dans ce qu’il a été sans y penser.
Même si la conscience relie passé et futur, certains événements peuvent briser cette continuité :
🧠 Exemple clinique :
Dans les cas de traumatismes, de troubles de la mémoire (ex : Alzheimer, amnésie), ou même d’usage de drogues, l’individu ne reconnaît plus son passé. Peut-on dire qu’il est encore le même ?
🎭 Exemple littéraire : Dr Jekyll et Mr Hyde (Stevenson)
Le même corps, deux personnalités, deux comportements. Cela interroge la notion même d’unité du moi.
Le philosophe Paul Ricoeur propose de distinguer :
L’identité-mêmeté (idem) : ce qui ne change pas (notre nom, notre visage…)
L’identité-ipséité (ipse) : la capacité à tenir parole, à rester fidèle à soi malgré les changements.
Autrement dit, ce n’est pas le fait d’être identique qui compte, mais la capacité à rester fidèle à ce que l’on promet, à ce qu’on choisit d’être.
🎭 Exemple :
Une personne peut changer d’opinion politique ou de religion, tout en restant cohérente avec ses valeurs profondes. Ce n’est pas une trahison de soi, mais une fidélité intérieure, plus forte que l’apparente discontinuité.
La conscience me permet-elle de me connaître véritablement ?
Suis-je le mieux placé pour savoir qui je suis ?
L’introspection (du latin introspicere, « regarder à l’intérieur ») désigne la capacité de porter son attention sur ses propres états mentaux, ses sensations, ses émotions, ses pensées.
C’est une méthode qui part de l’idée que je suis le seul à avoir un accès immédiat à ce que je ressens et pense.
« Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi. »
Dans Les Confessions, Jean-Jacques Rousseau entreprend une introspection radicale. Il veut se décrire sans filtre, avec honnêteté, en exposant aussi bien ses défauts que ses vertus. Il invente ainsi une forme nouvelle d’écriture de soi, où l’homme devient objet de connaissance.
📝 Ce projet est double :
Éthique : affronter ses fautes sans se justifier.
Cognitif : se connaître vraiment, au-delà des apparences, même les plus flatteuses.
Mais Rousseau souligne aussi les limites de la mémoire : certains souvenirs sont reconstruits ou embellis. Cela interroge la fiabilité même de l’introspection.
Ce que je crois être un regard lucide sur moi-même est souvent déformé par mes émotions, mon orgueil ou ma culpabilité.
L’introspection peut se tromper : je me raconte des histoires, je me justifie, je filtre mes souvenirs.
📌 Exemple :
Je peux penser être une personne généreuse parce que j’ai donné une pièce à un mendiant, mais oublier toutes les fois où j’ai ignoré ceux qui en avaient besoin.
Souvent, nous ne savons pas pourquoi nous avons agi d’une certaine façon. L’introspection se heurte alors à des zones d’ombre – c’est ce que Freud appellera l’inconscient.
Descartes, dans le Discours de la méthode (1637), rejette toutes les connaissances incertaines pour ne garder que ce qui résiste au doute.
« Je pense, donc je suis » (Cogito ergo sum)
👉 Il découvre que le seul fait de penser, même de douter, prouve notre existence comme sujet pensant. Ce sujet est une substance pensante, une "res cogitans", différente de notre corps matériel.
Le sujet qui doute, qui pense, qui se questionne est la seule chose dont on ne peut douter. Ce moi n’est pas un objet parmi d'autres, c’est le fondement de toute pensée.
🧠 Ce que je suis, selon Descartes :
Un être conscient de lui-même.
Une pensée indépendante du corps.
Une substance immuable et certaine.
📌 Exemple :
Même si tout le monde extérieur est illusoire (comme dans un rêve), je ne peux pas douter que je pense. Et donc que j’existe en tant que pensée.
Le « je pense donc je suis » semble être une pure abstraction :
Il ne dit rien de mon histoire, de mes émotions, de mes contradictions.
Ce "je" est un sujet logique et non un individu concret, situé, changeant.
📌 Exemple :
Selon Bergson, Descartes fige le moi dans un concept, alors que la conscience réelle est mouvement, durée, mémoire vivante.
L’idée que l’on peut se connaître soi-même par simple introspection ou méditation est remise en question par de nombreux philosophes.
Aristote – La Grande Morale, II, X :
« C’est en tournant nos regards vers notre ami que nous pourrions nous découvrir, puisqu’un ami est un autre soi-même. »
👉 Pour Aristote :
On se connaît dans la relation, pas dans la solitude.
L’ami joue le rôle de miroir moral : il reflète nos qualités, nos défauts, nos incohérences.
Il faut un regard extérieur bienveillant mais lucide pour accéder à soi.
📌 Exemple :
Quand un ami me dit : « Tu dis que tu es calme, mais tu réagis toujours violemment », je suis forcé de confronter l’image que j’ai de moi à celle que les autres perçoivent.
Se connaître, ce n’est pas simplement « voir en soi », mais se construire :
En faisant des choix.
En agissant dans le monde.
En prenant du recul sur soi-même.
Cf. Hegel : Phénoménologie de l’Esprit : on se découvre dans l’action, dans la confrontation au réel, à autrui, au temps.