Le vivant :  Problématique  :  Quelle est la spécificité du vivant ? Quelles sont ses caractéristiques ? Comment en rendre compte ?

 

 

 

1 La spécificité de l’être vivant

 

A) Définitions

 

Posséder la vie, c’est d’abord se distinguer de l’inerte.

 

À l’inverse du minéral, le végétal et l’animal se caractérisent par leur capacité à se développer : ils naissent et ils meurent. Cf. Aristote : la vie est « le fait de se nourrir, de grandir et de dépérir par soi-même ».

 

Nous parlons donc d’« être vivant » pour désigner une réalité naturelle possédant la capacité d’exister par elle-même. Kant assigne ainsi au vivant une force formatrice interne, c'est-à-dire une capacité d'auto-organisation qui découle du fait que le vivant est en vie.

 

Cette force formatrice interne s’observe au travers de trois grandes spécificités propres au vivant :

 

Un chêne est un chêne dans la mesure où il appartient en tant qu’arbre à l’espèce « chêne », un chêne produit un chêne selon une loi naturelle propre.

 

Mais le chêne se développe également en tant qu’individu particulier.

 

C’est donc l’individu vivant particulier qui produit une réaction au milieu où il se trouve : si je coupe telle ou telle branche du chêne, il pourra en repousser une, car le vivant réagit.

 

B) Le vivant et l’objet technique

 

Dans chaque produit de la nature, toute partie interagit avec le tout, et possède une fin naturelle, propre à chaque espèce.

 

Or, l’objet inanimé ne possède pas de telle fin. Un objet conçu par l’homme ne possède pas de fin naturelle, mais une visée déterminée. Ex. : une montre, bien qu’elle soit composée de différentes parties (des rouages et des aiguilles) ne possède pas de fin naturelle car aucune des parties prise pour elle-même n’existe par elle-même.

 

De plus, contrairement à un objet technique, le corps naturel organisé possède une complexité d’organisation. Leibniz affirme pour l'illustrer : « les machines de la nature, c’est-à-dire les corps vivants, sont encore machines dans leurs moindres parties, jusqu’à l’infini. C’est ce qui fait la différence entre la Nature et l’Art, c’est-à-dire entre l’art divin et le nôtre » (Monadologie).

 

2Le vivant entre mécanisme et vitalisme

 

A) Le mécanisme

 

On a souvent rapproché le fonctionnement de l’être vivant et celui de la machine, selon le modèle de l’automate ou de l’ « animal machine ». C’est ce que l’on appelle le mécanisme. Descartes propose ainsi d’appliquer les règles de la physique aux corps naturels organisés (celui de l’homme comme celui de l’animal). En ce sens, étudier un être vivant, c’est interroger les rouages d'un corps, expliquer sa chaleur, mettre en évidence son organisation et ses actions.  

 

On pourrait alors comprendre le corps d’un animal sur le modèle d’un automate ou d’une machine dans la mesure où les lois de la physique et de la mécanique suffisent à comprendre à la fois la formation et le fonctionnement de l’organisme. Descartes utilise ainsi au début du Traité de l’homme une comparaison entre l’homme et une « machine de terre » dont les différents éléments sont comparables à une horloge ou à une fontaine.

 

B) Le vitalisme

 

Au mécanisme s’oppose le vitalisme. Pour les partisans du vitalisme (Aristote, Bergson) on ne peut pas réduire le vivant à des règles ou à des lois physiques ou mécaniques, car le vivant relève d’un autre ordre de réalité.

 

Le vivant possède une spécificité telle que pour le comprendre, il faut en quelque sorte accorder une exception au statut de la vie. La matière vivante serait ainsi animée d’un principe vital, une force qui l’anime.

 

3Comment concevoir une science du vivant ?

 

A) Comment faire une science à partir du vivant ?

 

Se pose alors le problème de déterminer comment l’on pourrait établir une science du vivant.

 

Contrairement à la physique ou aux mathématiques, dont les objets peuvent être distinctement définis, la biologie étudie une matière animée, sans cesse en changement et en réaction avec son milieu. Elle semble donc relever d’une certaine exception.

 

C’est la raison pour laquelle le vivant semble exclure toute règle générale, car il est par essence marqué d’une originalité irréductible. Canguilhem soutient ainsi que « l’intelligence ne peut s’appliquer à la vie qu’en reconnaissant l’originalité de la vie. La pensée du vivant doit tenir du vivant l’idée du vivant ». Avec l’exemple du hérisson traversant les routes, Canguilhem montre que le vivant qu’est le hérisson ne perçoit pas la route construite par des hommes comme construite par et pour des hommes, car elle lui est étrangère, elle n’appartient pas à son monde de hérisson. 

 

Pour établir une science du vivant, il pourrait être nécessaire, comme dans toute science, de penser en termes de méthode : or, s’agissant du vivant, la méthode est précisément ce qui pose problème.

 

Par une boutade, Canguilhem fait remarquer : « Nous soupçonnons que, pour faire des mathématiques, il nous suffirait d’être anges, mais pour faire de la biologie, même avec l’aide de l’intelligence, nous avons besoin parfois de nous sentir bêtes ». Autrement dit, il faut d’abord refuser d’appliquer des concepts figés au vivant du fait de son caractère unique.

 

B) Le vivant et les exceptions

 

L’une des illustrations du caractère parfois imprévisible du vivant sont les « monstres ». Ambroise Paré, chirurgien et anatomiste français, a été l’un des premiers à tenter de comprendre les causes qui mènent à la naissance des monstres : perturbations de l’organisation interne, ou chocs venus de l’extérieur ; mais le XVIe siècle laisse encore une place importante aux superstitions.

 

Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que l’on affine la connaissance de l’origine des monstres. Diderot notamment, invite à « faire par la pensée ce que nature fait quelquefois » lorsqu’elle produit des monstres. Autrement dit, à concevoir que la nature peut parfois faire varier le vivant selon des modalités inattendues car il n’y a pas de finalité dans la nature.

 

D’où la question du respect que l’on doit au vivant. La bioéthique, les lois régissant la recherche expérimentale sur les embryons humains (Loi n° 2013-715 du 6 août 2013) ou encore les comités d’éthique sont des indicateurs très nets de la façon dont le vivant est aujourd’hui considéré comme un objet spécifique à la fois sur les plans scientifiques et juridiques.