TEXTE DE KANT

 

 Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les eut affranchis [libérer] depuis longtemps d’une conduite étrangère [ de la conduite d’une autre personne] , restent cependant volontiers [de leur plein gré] toute leur vie durant dans un état de tutelle [état de dépendance] ;  et qui font qu’il est si facile à d’autres de se poser comme leurs [de jouer le rôle] tuteurs.  Il est si commode [facile] d’être sous tutelle. Si j’ai un livre qui me sert d’entendement [de raison], un directeur de conscience [un guide spirituel] qui me sert de guide, un médecin qui juge de mon régime alimentaire à ma place, je n’ai alors pas moi-même à fournir d’efforts. Il ne m’est pas nécessaire de penser dès lors que je peux payer ; d’autres assumeront [prendront en charge] bien à ma place cette fastidieuse besogne[ travail pénible] .

 

Et si la plus grande partie, et de loin, des hommes tient [considère] ce pas [cette initiative] qui affranchit [libère] de la tutelle pour très dangereux et de surcroît [de plus] très pénible, c’est que s’y emploient  ces tuteurs qui, dans leur extrême bienveillance [gentillesse], se chargent de les surveiller. Après avoir abêti (rendre bête, stupide) leur bétail et avoir empêché avec sollicitude [beaucoup d’attention] ces créatures paisibles d’oser faire un pas en dehors du jardin d’enfant où ils les avaient emprisonnés, ils leur montrent ensuite le danger qui les menace, s’ils essaient de marcher seuls. Or ce danger n’est sans doute pas si grand, car après quelques chutes, ils finiraient bien par apprendre à marcher ; un tel exemple rend pourtant timide et dissuade d’ordinaire de toute autre tentative ultérieure [future].                  

 

Attention à l’ironie

 

                                                                                         – Kant –   Qu’est-ce que les lumières ? (1784)

 

 



Analyse du texte de   Kant, Qu'est-ce que les lumières ?

 

 

 

Aperçu des idées du texte:

 

 Ce texte est extrait d'un article de journal dans lequel Kant examine la question  : "Qu'est-ce que les Lumières ? "

Cette expression utilisée pour qualifier le 18ème siècle comporte plusieurs sens - pour Kant il ne s'agit pas tant d'éclairer les Hommes avec des connaissances pour les faire sortir de l'obscurantisme que de les inciter à utiliser leurs "propres lumières", c'est à dire à utiliser leur raison pour penser par eux-mêmes de façon autonome. Ainsi pour Kant les "lumières " désignent la sortie de l’homme de son état de minorité (dépendance intellectuelle) dont il est lui-même responsable : "Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser)" (…)Aie le courage de te servir de ton propre entendement  (Sapere aude -ose savoir). Voilà la devise des Lumières selon Kant.

 

 Ainsi dans ce texte Kant dresse un constat sur la situation de la plupart des hommes qui, d'après lui, se soumettent à des autorités intellectuelles et morales abandonnant ainsi à d'autres la tâche de réfléchir et de penser. Il explique cette situation en situant dans des défauts de la volonté (la paresse et lâcheté) les causes principales de cette situation. Kant montre dans une deuxième partie les les conséquences qui découlent de ce renoncement : les tuteurs profitent de la situation et les hommes se trouvent réduit à une condition infantile voire animale. Enfin l'extrait se termine sur un encouragement adressé aux hommes pour qu'ils tentent malgré tout de se libérer de l'emprise des tuteurs. La liberté comporte des risques d'erreurs mais c'est à ce prix qu'on peut devenir indépendants. 

 

Etude analytique du texte:

 

Thème : La Liberté et l’autonomie de la pensée.

  

Thèse : Kant affirme dans cet extrait de Qu’est-ce que Les Lumières ? que l’être humain se maintient volontairement, par paresse et par lâcheté, dans un état de minorité intellectuelle, état dont tirent profit ses tuteurs. La sortie d’un tel état définit précisément « Les Lumières » et consiste à « oser se servir de son propre entendement ».

 

Problème :  Pourquoi les Hommes renoncent à l'usage de leurs raisons. Sommes nous sortis de l’état de minorité ? Ne sommes nous pas nous aussi soumis à des autorités qui pensent pour nous (de nos jours les média, la science …). D’autre part, est-ce seulement par manque de volonté  qu’on se laisse guider. La faute n’incombe t-elle pas davantage aux « tuteurs » qui conditionnent les hommes pour leur imposer leurs commandements?

 

  

Plan :  le texte présente d’abord le paradoxe de la servitude volontaire puis examine le rôle des tuteurs et se conclue sur l’apprentissage de la liberté.

  

1)       Le paradoxe de la servitude volontaire :

 

 La nature a donné les moyens à chaque Homme pour penser par lui-même : la raison.

La nature à affranchi (libérer) l'Homme depuis longtemps d'une tutelle étrangère.

On peut comprendre cette phrase de deux façons:

a) L'adulte n'a plus besoin (contrairement à l'enfant) d'une autre personne pour le guider, il a sa propre raison pour se dirige parce qu'il est maintenant adulte.

 

 b) L'espèce humaine n'est plus guidée comme c'est  le cas chez l'animal sauvage par un instinct qui lui fixe précisément la marche de sa conduite, l'Homme par sa raison peut se fixer ses propres règles de comportement et développer sa réflexion.

 

Pourtant et c'est là que réside le paradoxe: les hommes demeurent dans un état de tutelle. Ils n'exercent pas leur faculté de pensée, ils s'en remettent à d'autres pour penser à leur place.

 

L'explication est simple selon Kant: il est plus facile, plus confortable d'être guidé par un autre que de faire l'effort de penser par soi-même ce qui implique parfois le risque de se tromper. C'est donc par "paresse et lâcheté" que les hommes préfèrent suivre des tuteurs, des personnes qui ont une certaine autorité et qui servent de guide. Les exemples sont éclairants sur ce point: le livre, le directeur de conscience, le médecin. Ce sont trois figures de l'autorité.

L'autorité de l'école (ou peut être de la religion) avec le livre,  l'autorité d'un guide qui peut être un prêtre ou un précepteur par exemple (le directeur de conscience) qu'on pourrait remplacer aujourd'hui par le "psy' ou le "coach". Enfin l'autorité même de la science avec le médecin.

On voit avec ce dernier exemple l'ironie de Kant qui se moque quelque peu des personnes qui consultent un médecin pour des questions de régime alimentaire ( notons que Kant ne connaissait sans doute pas les problèmes de surpoids ou d'obésité propre à notre époque). Ce qu'il veut dire c'est qu'un peu de bon sens, de jugement ou de réflexion permettrait de répondre par soi-même à toutes les questions que l'on va poser aux autres en déboursant son argent. Payer quelqu'un pour qu'il pense à notre place.

Cette tendance n'a sans doute pas disparu à notre époque, nous-mêmes dès que nous avons une difficulté ou un problème,  nous allons consulter les réponses sur les navigateurs de recherche d'internet . Or si nous n'utilisons pas notre raison , comment pourrons nous savoir ce qui est vrai ou faux ? Nous serons enclins à croire ce que l'on nous dit et nous finirons par adopter une opinion sans aucune preuve sur ce qu'on appelle l'argument d'autorité ce qui est préjudiciable car nous ne serons alors jamais capable de juger par nous-mêmes. 

   

2)       Le rôle des tuteurs :

 

Les tuteurs profitent de la situation , leur rôle n'est pas positif. Ils ne cherchent pas à émanciper les personnes qu'ils dirigent on le voit avec le termes  qui caractérisent leurs  rôles :    Surveiller ;            abêtir  ;  -          Dissuader d’agir .

 

Ces tuteurs ont même tout intérêt a renforcer la dépendance des personnes dont ils ont la charge afin de conserver leurs positions et favoriser leur intérêts. Ces personnes qui restent sous tutelles sont alors comparées à du bétail ou à des enfants (voir les deux métaphores dans ce passage). 

 

L'ironie de l'auteur apparaît avec les expressions: extrême bienveillance et sollicitude.

Les tuteurs en apparence sont bienveillants et plein de sollicitude avec leurs protégés mais en réalité ils profitent de la faiblesse des Hommes et ne songent qu'à leur intérêts. Un berger peut apparaitre bienveillant envers ses brebis (il soigne, les protège) jusqu'au jour où il les conduit à l'abattoir.

 La dépendance dans laquelle les Hommes se sont enfermés peut se refermer comme un piège. (voir des prolongements sur le plan politique).

 

  

3)       L’apprentissage de la liberté

 

Pour conclure son texte, Kant invite les hommes à s'émanciper et à sortir de l'état de minorité ; il faut oser penser par soi-même. La liberté de pensée est le premier pas vers une liberté d'action. Cependant cette initiative comporte des risques d'erreur ainsi que l'exprime métaphore de la chute.  Lorsqu'un enfant apprend à marcher tout seul, il risque de faire des chutes mais c'est ainsi qu'il apprend. De même l'Homme accepter de se tromper pour progresser dans son chemin vers l'indépendance et la liberté. 

 

Conclusion

 

Ce texte constitue un plaidoyer pour la liberté de penser , le fait pour l'Homme d'utiliser sa raison même si cela exige des efforts et fait parfois encourir des risques d'erreur.  Mais c'est à ce prix que l'Homme  pourra être réellement se rendre indépendant dans sa pensée et par conséquent dans ses choix;  cela est fondamental pour un individu mais tout aussi essentiel à l'échelle de tout un  peuple s'il ne veut pas tomber dans la servitude.

A  noter: 

 

 L'état de minorité chez KANT ne se rapporte ni à l'âge, ni au nombre  de personne mais à un état de dépendance intellectuelle: on reste mineur tant que l'on ne pense pas par soi-même et qu'on reste dépendant de la pensée d'une autre personne  ou d'un groupe. En somme être majeur (adulte) n'est pas une question d'âge mais de maturité intellectuelle. 







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