Le projet et la méthode  de Descartes dans les Méditations


 


Le projet de Descartes dans les Méditations Métaphysiques (1641) consiste à chercher une connaissance sûre et certaine.  Descartes cherche donc à établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences (connaissances).  Ce projet s’explique par le fait que Descartes a dès sa jeunesse pris conscience que les connaissances qu’il avait acquis étaient très fragiles comme il l’indique clairement dans ce passage du Discours de la méthode   (1637)


 


« sitôt que j’eus achevé tout ce cours d’étude, au bout duquel on a coutume d’être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d’opinion car je me trouvais embarrassé de tant de doute et d’erreur , qu’il ne me semblait n’avoir fait aucun profit en tâchant de m’instruire » Discours de la méthode – 1ère partie.


 


On peut utiliser ici la métaphore de la construction d’un édifice. On a fait jusqu’ici que construire des étages sans s’assurer que les fondations étaient solides mais l’édifice est si fragile qu’il menace de s’écrouler : il faut donc reprendre tout dès le fondement et rasant l’édifice (faire table rase = tabula rasa en latin) pour le reconstruire sur des bases solides.


De même les connaissances de l’Homme se sont empilées au fil du temps mais l’édifice du savoir reste fragile car on ne s’est pas préoccupé de leur fondement.  Il faut donc reprendre tout depuis les bases pour refonder les connaissances. C’est donc un projet très ambitieux qui anime Descartes.


 


La méthode :


 


Descartes utilise la méthode du doute, il va examiner les connaissances et s’assurant de leur solidité et les soumettant à un doute systématique. Si une connaissance résiste à l’épreuve du doute alors elle pourra être considérée comme fiable.   


 


On utilise souvent une image pour illustrer cette démarche ( métaphore qui a elle-même plusieurs variantes) : la recherche de la vitre incassable. On dit a une personne de trouver dans un magasin de vitres celle qui serait incassable. La personne prend alors  un marteau et frappe sur toutes les vitres pour tester leurs résistances, certaines sont très fragiles et un petit choc va les briser, d’autres sont beaucoup plus résistantes et il faudra de violent coups pour en venir à bout et peut être qu’a la fin cette personne trouvera la vitre qui résiste à tous les coups (si elle existe) , la vitre incassable.  Si l’on veut équiper sa maison on prendra la vitre incassable ou au moins les plus résistantes.   Le doute est l’équivalent du marteau, les vitres sont l’équivalent des connaissances. Certaines vont se « briser » avec un doute léger, d’autres résisteront à des doutes beaucoup plus forts. Elles seront plus certaines.  Si l’on en trouve une indubitable (dont on ne peut pas douter) , alors c’est celle là qu’il faut utiliser comme la base, le fondement de toutes les autres connaissances.


 


Descartes donne lui -même une image pour illustrer sa démarche :  l’image du panier de pomme est proposée par Descartes (Méditations Métaphysiques, réponses aux 7èmes objections)   pour faire comprendre sa méthode. Imaginons que l’on possède un panier de pommes dans lequel il se trouve une ou plusieurs pommes pourries, elles vont contaminer les autres fruits et à la fin elles seront toutes inmanageables. Si l’on veut « sauver » des pommes, il faut séparer les pommes saines et les pommes pourries. Il faut donc vider le panier, examiner les pommes unes par unes puis remettre dans le panier uniquement celles qui sont « saines ».


Il est en de même pour les connaissances de l’Homme, les connaissances défectueuses « contaminent », altèrent les connaissances saines et c’est comme si à la fin on ne connaissait rien.   


Il faut donc commencer par douter de tout ( =sortir les connaissances du panier) puis examiner chacune des connaissances soit pour l’accepter ( pomme saine) ou bien la rejeter (pomme avariée). Ce qui est facile pour des fruits dans un panier est beaucoup plus compliqué pour les connaissances de l’esprit humain mais la démarche sera en quelque sorte similaire.


 


Le doute chez Descartes : instrument pour parvenir à la vérité


 


Le doute que met en œuvre Descartes comporte plusieurs caractéristiques très importantes qu’on peut résumer  en cinq points :


 


1/ C’est un doute volontaire : Descartes cherche lui-même des raisons de douter, il provoque le doute en recherchant des failles dans les connaissances.  Il n’attend pas que le doute arrive, il le produit, il le provoque.


 


2/ C’est un doute méthodique :  Il existe un nombre considérable de connaissances que l’on a acquis depuis l’enfance. Cela semble être un tâche infinie que d’examiner chaque connaissance en particulier, Descartes a alors l’idée de regrouper les connaissances par genre,  par catégorie en fonction de leur origine.


Il existe en effet deux sortes de connaissances. Les connaissances qui viennent des sens (la vue, le toucher….) . On peut les appeler connaissances sensorielles (ou sensibles pour reprendre un terme qui vient de Platon ) et les connaissances qui viennent de la raison, les connaissances rationnelles. Ce sont ces deux genres de connaissances qui Descartes va examiner en cherchant des raisons de douter de leur véracité.  


 


3/ C’est un doute  hyperbolique : L’hyperbole est une figure de style par laquelle on exagère une caractéristique.  Le doute va donc être délibérément exagéré. Ce qui est douteux sera considéré comme trompeur ou faux.   


On peut comprendre cette exagération par le fait que pour Descartes ne peut pas fonder le savoir sur des probabilités , sur des « peut-être ». Il faut fonder la connaissance sur ce qui est absolument sûr et certain.  C’est un système un peu binaire (soit c’est vrai , soit c’est faux), il n’y pas de place pour l’entre deux (le douteux, l’incertain ; l’hypothétique sera mis du côté du faux).


 


4/C’est un doute radical :


 Si une connaissance qui appartient à un genre est douteux alors Descartes considère que c’est toutes les connaissances de ce groupe qui seront considérées comme fausses et la faculté par laquelle nous connaissons sera qualifiée de « trompeuse ».  


 


5/C’est un doute provisoire :


Ce qui distingue le doute de Descartes du doute des sceptiques qui remettent également en cause la véracité de toutes les connaissances de l’Homme) c’est sa volonté de sortir du doute pour établir une certitude. Les sceptiques doutent pour douter et affirment que l’Homme ne peut rien connaître (comme Pyrrhon dans l’Antiquité ) tandis que Descartes doute dans l’espoir de trouver une vérité certaine.


 


La conception de la vérité chez Descartes :


 


Descartes  assimile clairement la vérité avec la certitude (ce dont on ne peut pas douter, l’indubitable) ce qui est problématique. En effet ce qui nous paraît certain est- il toujours bien vrai ? Pour la plupart des hommes de l’Antiquité , cela ne faisait pas de doute que la terre était plate. Pour des racistes, cela ne fait pas de doute qu’il y a des inégalités naturelles. (Les X étant naturellement supérieurs) .  Or les certitudes sont souvent des préjugés qui masquent la vérité.


 


Comment Descartes peut il alors accepter l’idée que la certitude est la marque de la vérité ?


Il faut distinguer la certitude première, celle qui ne s’appuie sur aucun raisonnement, aucune réflexion et ce qu’on pourrait nommer la certitude dernière, celle qui résulte de la démarche du doute. La certitude qui est l’indice du vrai est celle qui a résisté au doute, c’est donc celle qui serait en quelque sorte vérifiée en sortant victorieuse de l’épreuve du doute.


On peut faire ici une comparaison avec un exercice mathématique :  lorsqu’on a bien vérifié qu’il n’a pas d’erreur (par plusieurs méthodes) on peut être certain du résultat.  Bien sûr il ne faut pas être certain du résultat avant d’avoir effectué les opérations et les vérifications mais on peut être certain après ces vérifications. De même Descartes pense que la certitude est la marque du vrai quand on a tout vérifié et éliminé les possibilités d’erreur.


 


Il reste quand même que c’est une manière spécifique de définir la vérité. Ce qui est certain du fait de sa certitude est la marque même de la vérité chez  Descartes ; ce dernier situe la vérité plutôt dans l’ordre des jugements des hommes plutôt que dans « la correspondance avec » une réalité extérieure à l’esprit humain en contraste donc avec la définition classique de la vérité selon laquelle une pensée est vraie quand elle correspond à la réalité (« adequation rei et intellectu » ; l’adéquation de la pensée et de la chose dans les termes de la philosophie en vigueur à l’époque de Descartes).


 C’est en ce sens qu’on peut dire que la philosophie de Descartes est une philosophie du sujet (c'est-à-dire qui met l’Homme au premier plan). La vérité est dans l’esprit de l’Homme.


Mais ce qui est vrai doit quand même « correspondre » à une réalité extérieure à notre esprit sans quoi la vérité deviendrait entièrement subjective et l’on ne pourrait plus distinguer les idées de notre imagination, les rêves par exemple et les idées forgées par la raison.  Mais alors comment comparer ce qui est dans notre esprit et ce qui lui est extérieur pour s’assurer de leur correspondance ? Il faudrait que l’esprit « sorte de lui-même » pour voir les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes. Ce sont ces questions complexes entre la correspondance entre ce qui est dans la pensée et ce qui est dans l’ordre des choses (ou du monde extérieur à l’esprit) que Descartes devra résoudre dans la suite des Méditations en particulier dans la 3ème méditation.