Quelle place faut-il reconnaître à autrui ?

 



 

Autrui désigne l’alter-ego un autre (alter)  soi-même (ego) à la fois semblable et différent. Ainsi, autrui désigne-t-il une autre personne de façon indifférenciée, un autre Homme (mais ni Dieu ni l’animal).  Plusieurs questions peuvent être soulevées : quelle place autrui tient-il pour un sujet conscient comme chacun d’entre nous ? S’agit-il d’une place secondaire comme on serait tenté de le croire spontanément (j’existe d’abord pour moi-même et les autres gravitent autour de moi selon des cercles plus ou moins proches et éloignés) ou bien occupe-t-il une place  plus essentielle dans la construction de l’identité ?

 



 

Comment connaître autrui lorsqu’on sait qu’on doit interpréter les signes qu’il nous donne à voir à partir de notre propre expérience subjective ?

 



 

Comment enfin reconnaître autrui et le respecter pour ce qu’il est réellement ?  

 



 

 Ces questions font d’autrui un concept qui s’inscrit autant dans une réflexion sur la conscience de soi, sur la morale voire plus généralement sur la vie en société.

 

 

 



 

 

 


 

I / La connaissance d’autrui

 



 

Nous vivons avec d’autres personnes avec lesquelles nous sommes plus ou moins familiers. Mais jusqu’où pouvons-nous connaître autrui ? N’y a-t-il pas une illusion lorsqu’on croit bien connaître autrui ?  Ne sommes-nous pas contraints de toujours interpréter les paroles et les signes que nous percevons à partir de notre propre vécu ? C’est cette distance infranchissable entre moi et autrui qui est soulignée par Descartes et Pascal.

 



 

 Pour Descartes chacun connaît sa propre intériorité (ce qui se passe en nous-même) de façon immédiate tandis que nous connaissons autrui que sur le mode de l’analogie (comparaison). Lorsque je suis triste, je pleure et si je vois une autre personne pleurer, j’en déduis qu’elle est triste. Mais sa tristesse, je ne peux ni la sentir, ni la connaître.  C’est le cas de tout ce qui est présent dans la conscience d’autrui qui reste dans une large mesure inaccessible. Nous sommes alors condamnés à rester ainsi « enfermés » en nous-mêmes. Il existe une distance infranchissable entre deux consciences.

 



 

C’est même jusqu’à l’existence d’autrui que Descartes remet provisoirement en doute dans sa démarche du doute méthodique qu’il expose dans les Méditations métaphysiques.  S’il  y a une impossibilité d'accéder à une connaissance intérieure d'autrui, l’Homme ne peut donc connaître que sa seule existence : il n’y a pas de preuves ni de saisie directe du moi ni de la conscience d'autrui.  

 



 

Descartes prend la situation d’un homme qui regarde des passants marcher dans la rue depuis sa fenêtre, comment pourrait-il être certain que ces êtres sont comme lui des Hommes avec une conscience car on pourrait tout aussi bien imaginer qu'il ne s'agit que de mannequins (ou des robots dirait-on de nos jours) qui défilent. On aboutit alors à une forme de solipsisme, l’Homme n’est certain que de sa propre existence.   Néanmoins, Descartes reconnaît ensuite qu'il existe d'autres sujets pensants. En effet, si je ne peux saisir de façon immédiate leur existence, des preuves indirectes me montrent qu'il ne s'agit pourtant pas de mannequins animés mais bien de sujets pensants à partir du moment où l’on peut échanger des paroles. On doit à cet égard souligner l'importance du langage humain comme moyen pour surmonter la distance qui sépare les consciences et pour connaître autrui. Mais là encore il n’est pas toujours certain que l’on se comprenne parfaitement même si on utilise les mêmes mots puisque chacun les interprète à partir de sa propre expérience.  Ainsi autrui reste- t-il pour un sujet un Autre dans son sens radical, c'est-à-dire un être qu’on ne peut réduire à soi-même. C’est cette étrangeté qu’on retrouve  même parfois chez les personnes qui nous sont les plus familières et c’est pourquoi nous leur demandons souvent :  « A quoi penses-tu ?» tout en sachant à l’avance qui nous ne saurons que ce que l’autre voudra nous révéler.

 



 

 

 



 

  

 



 

II / Le développement de la conscience

 



 

Croire qu’on est seul au monde et que les autres sont extérieurs en tenant seulement une place de second plan pourrait s’avérer également une illusion. On sait qu’un être humain a besoin des autres pour véritablement développer toutes ses facultés. Les cas d’enfants abandonnés et laissés sans contact avec d’autres personnes ont bien montré l’importance d’autrui (voir L’enfant sauvage de Truffaut tiré d’une histoire vraie). Nous « sommes les autres », nous sommes les autres que nous avons intériorisés depuis la petite enfance depuis qu’on apprend le langage et par son intermédiaire tous les éléments de la culture. Sans cette socialisation, l’Homme ne serait pas humanisé.

 



 

Biologiquement, le cerveau du nourrisson n’est pas achevé à la naissance et c’est donc par les échanges qu’un individu tissent avec son entourage qu’il pourra se développer « normalement ».  L’Homme ne devient humain qu’au contact d’autrui.

 



 

Il ne peut également  atteindre la conscience de soi sans autrui car on se définit que par opposition et contraste,  c’est aussi autrui qui joue un rôle de miroir qui permet de mieux prendre conscience de soi . Dans cette ordre d’idée J. P Sartre écrit « Autrui est le médiateur indispensable en soi et soi- même ».

 



 

 Autrui est indispensable à la fois pour devenir un humain à part entière et pour prendre conscience de soi. C’est sans doute cette importance d’autrui qui rend nos relations souvent conflictuelles.

 



 

 

 



 

III/ La lutte pour la reconnaissance

 



 

 Hegel insiste sur le conflit et la lutte des consciences pour la reconnaissance. En effet le regard d’autrui me transforme en « chose ». Sous le regard d’autrui je ne suis qu’un chose parmi les choses de ce monde. Il faudra alors que je gagne aux yeux d’autrui ce statut de sujet, de personne qui fait que je pourrai êtr reconnu comme son égal.  C’est alors que s’engage une lutte pour la reconnaissance qui est illustrée par la dialectique du maître et de l’esclave. Pour la conscience du maître, l’esclave est réduit à l’état d’un animal (ou d’un outil). Il n’a pas d’autres valeur que le profit qu’il rapporte.  Cependant par son travail l’esclave va révéler qu’il est indispensable pour l’existence même du maitre qui finit par dépendre des esclaves. Lorsque le maître réalise qu’il n’est rien sans l’esclave ou en d’autres termes qu’il est esclave de son esclave, le rapport s’inverse et c’est alors que l’esclave peut rejeter le maitre comme n’étant qu’un parasite, un bon à rien, un fainéant, un exploiteur entrainant alors la révolte. Il faudra alors que le maitre devenu à son tour esclave prouve sa valeur pour qu’il soit pleinement reconnu à son tour.  Ce n’est qu’au terme de cette évolution que la reconnaissance pourra avoir lieu.  

 



 

Cette analyse très conceptuelle de Hegel peut s’illustrer par des situation plus simples : un nouveau dirigeant arrive dans une entreprise et ne porte aucun intérêt aux ouvriers qu’il considère comme des pions qu’on peut remplacer ; ce comportement méprisent conduit à une grève, le patron comprend qu’il n’est rien sans les ouvriers et il commencent à mieux  les prendre en compte  ; mais à leur tour les ouvriers méprisent ce « bon à rien » jusqu’au moment où il s’aperçoivent que leur dirigeant a été capable d’avoir des bons contrats pour l’entreprise alors une considération mutuelle peut se nouer. Il y a une reconnaissance réciproque.

 



 

L’analyse de Hegel montre ainsi que les relations concrètes avec autrui peuvent prendre l’aspect du conflit mais aussi de l’entraide et de la coopération, autrui peut alors être un obstacle ou un allié pour la liberté de chacun.

 



 

 

 



 

 

 



 

 

 



 

IV/  Respecter autrui

 



 

 

 



 

Si l’on prend le terme d’autrui dans son double aspect à la fois de personne « semblable » et « différente », on s’aperçoit qu’il est finalement assez difficile de le respecter car on a tendance soit à renforcer sa similitude et ainsi nier sa différence soit au contraire à accentuer sa différence en niant ses similitudes.

 



 

Dans l’attitude raciste par exemple on considère l’étranger surtout comme un être différent, on accentue les différences au point de ne plus voir en lui un être humain mais une espèce         d’« animal » . Cette idée est soulignée par Claude Lévi Strauss dans son œuvre  Race et histoire appelant que les occidentaux utilisaient le terme « sauvage » pour qualifier les peuples qu’ils jugeaient non civilisés.

 



 

 

 



 

Plus récemment le colonialisme s’est souvent associé à une volonté d’assimilation forcée qui nie les différences de culture, de langue. En obligeant l’autre à rejeter ses différences, à se conformer à sa propre manière de penser et de vivre, c’est aussi une manière de lui faire violence.  L’attitude la plus juste consiste donc à considérer que nous sommes à la fois tous semblables et tous différents.

 



 

 

 



 

 

 



 

 

 



 

 

 



 

 

 




 

Quelle place faut-il reconnaître à autrui ?

 



 

 

 



 

  

 



 

Autrui désigne l’alter-ego un autre (alter)  soi-même (ego) à la fois semblable et différent. Ainsi, autrui désigne-t-il une autre personne de façon indifférenciée, un autre Homme (mais ni Dieu ni l’animal).  Plusieurs questions peuvent être soulevées : quelle place autrui tient-il pour un sujet conscient comme chacun d’entre nous ? S’agit-il d’une place secondaire comme on serait tenté de le croire spontanément (j’existe d’abord pour moi-même et les autres gravitent autour de moi selon des cercles plus ou moins proches et éloignés) ou bien occupe-t-il une place  plus essentielle dans la construction de l’identité ?

 



 

Comment connaître autrui lorsqu’on sait qu’on doit interpréter les signes qu’il nous donne à voir à partir de notre propre expérience subjective ?

 



 

Comment enfin reconnaître autrui et le respecter pour ce qu’il est réellement ?  

 



 

 Ces questions font d’autrui un concept qui s’inscrit autant dans une réflexion sur la conscience de soi, sur la morale voire plus généralement sur la vie en société.

 



 

 

 



 

 

 



 

 

 



 

 

 



 

 

 



 

I / La connaissance d’autrui

 



 

  

 



 

Nous vivons avec d’autres personnes avec lesquelles nous sommes plus ou moins familiers. Mais jusqu’où pouvons-nous connaître autrui ? N’y a-t-il pas une illusion lorsqu’on croit bien connaître autrui ?  Ne sommes-nous pas contraints de toujours interpréter les paroles et les signes que nous percevons à partir de notre propre vécu ? C’est cette distance infranchissable entre moi et autrui qui est soulignée par Descartes et Pascal.

 



 

 Pour Descartes chacun connaît sa propre intériorité (ce qui se passe en nous-même) de façon immédiate tandis que nous connaissons autrui que sur le mode de l’analogie (comparaison). Lorsque je suis triste, je pleure et si je vois une autre personne pleurer, j’en déduis qu’elle est triste. Mais sa tristesse, je ne peux ni la sentir, ni la connaître.  C’est le cas de tout ce qui est présent dans la conscience d’autrui qui reste dans une large mesure inaccessible. Nous sommes alors condamnés à rester ainsi « enfermés » en nous-mêmes. Il existe une distance infranchissable entre deux consciences.

 



 

C’est même jusqu’à l’existence d’autrui que Descartes remet provisoirement en doute dans sa démarche du doute méthodique qu’il expose dans les Méditations métaphysiques.  S’il  y a une impossibilité d'accéder à une connaissance intérieure d'autrui, l’Homme ne peut donc connaître que sa seule existence : il n’y a pas de preuves ni de saisie directe du moi ni de la conscience d'autrui.  

 



 

Descartes prend la situation d’un homme qui regarde des passants marcher dans la rue depuis sa fenêtre, comment pourrait-il être certain que ces êtres sont comme lui des Hommes avec une conscience car on pourrait tout aussi bien imaginer qu'il ne s'agit que de mannequins (ou des robots dirait-on de nos jours) qui défilent. On aboutit alors à une forme de solipsisme, l’Homme n’est certain que de sa propre existence.   Néanmoins, Descartes reconnaît ensuite qu'il existe d'autres sujets pensants. En effet, si je ne peux saisir de façon immédiate leur existence, des preuves indirectes me montrent qu'il ne s'agit pourtant pas de mannequins animés mais bien de sujets pensants à partir du moment où l’on peut échanger des paroles. On doit à cet égard souligner l'importance du langage humain comme moyen pour surmonter la distance qui sépare les consciences et pour connaître autrui. Mais là encore il n’est pas toujours certain que l’on se comprenne parfaitement même si on utilise les mêmes mots puisque chacun les interprète à partir de sa propre expérience.  Ainsi autrui reste- t-il pour un sujet un Autre dans son sens radical, c'est-à-dire un être qu’on ne peut réduire à soi-même. C’est cette étrangeté qu’on retrouve  même parfois chez les personnes qui nous sont les plus familières et c’est pourquoi nous leur demandons souvent :  « A quoi penses-tu ?» tout en sachant à l’avance qui nous ne saurons que ce que l’autre voudra nous révéler.

 



 

 

 



 

  

 



 

II / Le développement de la conscience

 



 

Croire qu’on est seul au monde et que les autres sont extérieurs en tenant seulement une place de second plan pourrait s’avérer également une illusion. On sait qu’un être humain a besoin des autres pour véritablement développer toutes ses facultés. Les cas d’enfants abandonnés et laissés sans contact avec d’autres personnes ont bien montré l’importance d’autrui (voir L’enfant sauvage de Truffaut tiré d’une histoire vraie). Nous « sommes les autres », nous sommes les autres que nous avons intériorisés depuis la petite enfance depuis qu’on apprend le langage et par son intermédiaire tous les éléments de la culture. Sans cette socialisation, l’Homme ne serait pas humanisé.

 



 

Biologiquement, le cerveau du nourrisson n’est pas achevé à la naissance et c’est donc par les échanges qu’un individu tissent avec son entourage qu’il pourra se développer « normalement ».  L’Homme ne devient humain qu’au contact d’autrui.

 



 

Il ne peut également  atteindre la conscience de soi sans autrui car on se définit que par opposition et contraste,  c’est aussi autrui qui joue un rôle de miroir qui permet de mieux prendre conscience de soi . Dans cette ordre d’idée J. P Sartre écrit « Autrui est le médiateur indispensable en soi et soi- même ».

 



 

 Autrui est indispensable à la fois pour devenir un humain à part entière et pour prendre conscience de soi. C’est sans doute cette importance d’autrui qui rend nos relations souvent conflictuelles.

 



 

 

 



 

III/ La lutte pour la reconnaissance

 



 

 Hegel insiste sur le conflit et la lutte des consciences pour la reconnaissance. En effet le regard d’autrui me transforme en « chose ». Sous le regard d’autrui je ne suis qu’un chose parmi les choses de ce monde. Il faudra alors que je gagne aux yeux d’autrui ce statut de sujet, de personne qui fait que je pourrai êtr reconnu comme son égal.  C’est alors que s’engage une lutte pour la reconnaissance qui est illustrée par la dialectique du maître et de l’esclave. Pour la conscience du maître, l’esclave est réduit à l’état d’un animal (ou d’un outil). Il n’a pas d’autres valeur que le profit qu’il rapporte.  Cependant par son travail l’esclave va révéler qu’il est indispensable pour l’existence même du maitre qui finit par dépendre des esclaves. Lorsque le maître réalise qu’il n’est rien sans l’esclave ou en d’autres termes qu’il est esclave de son esclave, le rapport s’inverse et c’est alors que l’esclave peut rejeter le maitre comme n’étant qu’un parasite, un bon à rien, un fainéant, un exploiteur entrainant alors la révolte. Il faudra alors que le maitre devenu à son tour esclave prouve sa valeur pour qu’il soit pleinement reconnu à son tour.  Ce n’est qu’au terme de cette évolution que la reconnaissance pourra avoir lieu.  

 



 

Cette analyse très conceptuelle de Hegel peut s’illustrer par des situation plus simples : un nouveau dirigeant arrive dans une entreprise et ne porte aucun intérêt aux ouvriers qu’il considère comme des pions qu’on peut remplacer ; ce comportement méprisent conduit à une grève, le patron comprend qu’il n’est rien sans les ouvriers et il commencent à mieux  les prendre en compte  ; mais à leur tour les ouvriers méprisent ce « bon à rien » jusqu’au moment où il s’aperçoivent que leur dirigeant a été capable d’avoir des bons contrats pour l’entreprise alors une considération mutuelle peut se nouer. Il y a une reconnaissance réciproque.

 



 

L’analyse de Hegel montre ainsi que les relations concrètes avec autrui peuvent prendre l’aspect du conflit mais aussi de l’entraide et de la coopération, autrui peut alors être un obstacle ou un allié pour la liberté de chacun.

 



 

 

 



 

 

 



 

 

 



 

IV/  Respecter autrui

 



 

 

 



 

Si l’on prend le terme d’autrui dans son double aspect à la fois de personne « semblable » et « différente », on s’aperçoit qu’il est finalement assez difficile de le respecter car on a tendance soit à renforcer sa similitude et ainsi nier sa différence soit au contraire à accentuer sa différence en niant ses similitudes.

 



 

Dans l’attitude raciste par exemple on considère l’étranger surtout comme un être différent, on accentue les différences au point de ne plus voir en lui un être humain mais une espèce         d’« animal » . Cette idée est soulignée par Claude Lévi Strauss dans son œuvre  Race et histoire appelant que les occidentaux utilisaient le terme « sauvage » pour qualifier les peuples qu’ils jugeaient non civilisés.

 



 

 

 



 

Plus récemment le colonialisme s’est souvent associé à une volonté d’assimilation forcée qui nie les différences de culture, de langue. En obligeant l’autre à rejeter ses différences, à se conformer à sa propre manière de penser et de vivre, c’est aussi une manière de lui faire violence.  L’attitude la plus juste consiste donc à considérer que nous sommes à la fois tous semblables et tous différents.