Quelle valeur accorder aux désirs ?

 

 

 

Tout comme la raison, le désir caractérise l’Homme au point que Spinoza déclare que : « le désir est l’essence de l’Homme ». Or, si le désir définit l’Homme, il fait de lui un être ambigu ; à la fois accablé par le manque mais en même temps possédant une force et des ressorts insoupçonnés (Le désir donne des ailes).

 

Mais c'est aussi la question du bonheur et de la liberté qui sont mises en jeu puisque le désir peut rendre l’Homme triste et malheureux ou le combler de joie, enfin le désir peut être source de  dépendance comme il peut aussi être la source de créativité et de l'affirmation de liberté.  Quelle valeur faut- il alors  accorder au désir ?

 

 

 

I/ La complexité du désir :

 

 

 

Le désir est la recherche d'un objet que l'on imagine ou que l’on sait être source de satisfaction. Il est donc accompagné d’une souffrance, d'un sen­timent de manque ou de privation. Et pourtant le désir semble refuser sa satis­faction, puisque, à peine assouvi, il s’empresse de renaître. C’est qu’il entre­tient avec l’objet désiré une relation ambivalente : le désir veut et ne veut pas être satisfait. Se déplaçant d’objet en objet, le désir est illimité, ou condamné à l’insatisfaction radicale. C’est ce que montre Schopenhauer dans son œuvre Le monde comme volonté et comme représentation.

 

Mais condamner le désir n’est-ce pas condamner l’Homme : on peut aussi le considérer comme une force, une puis­sance d'affirmation, de création infinie.

 

 

 

II / Désir et bonheur

 

Un être en proie au désir peut-il être heureux ?

 

Platon, dans le Gorgias, compare le désir au tonneau percé des Danaïdes, toujours plein, toujours vide, impossible à remplir. Mais alors, si nous sommes ainsi condamnés au désir et à l’agitation, comment atteindre la sérénité, c’est-à- dire, pour la philosophie antique, le bonheur ?

 

 Tel est le problème qu’ont cherché à résoudre ces deux écoles de la sagesse antique que sont le stoïcisme et l’épicurisme. Ces deux courants proposent une morale du renoncement, ou en tout cas de la tempérance des désirs, et voient dans l'usage réglé de nos désirs la condition du bon­heur. Pour le stoïcisme, il s’agit de régler nos désirs sur la raison et d’ac­corder ainsi notre vouloir à notre pou­voir (changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde). Pour l’épicurisme, il s'agit de régler nos désirs sur la nature, en opérant une distinction entre désirs naturels et néces­saires, et désirs artificiels et non néces­saires.

 

Mais en cherchant à tirer le désir vers la volonté, en ce qui concerne le stoïcisme, ou à le ramener au strict besoin, en ce qui concerne l’épicurisme, ces deux phi­losophies ne méconnaissent-elles pas sa vraie nature ? Car le désir ne se confond pas avec la volonté, même s’il lui en indique parfois mais pas nécessaire­ment, ni toujours — les fins. Encore moins se confond-il avec le simple besoin. Le besoin est l’état de manque dans lequel se trouve un être vivant, lorsqu'il est privé de ce qui assure sa conservation. Il trouve son apaisement dans un objet qui lui est naturellement adapté. Le désir, au contraire, n'a pas d'objet qui lui soit par avance assigné. Il peut prendre des formes multiples et inattendues, et surtout il n’est jamais repu.

 

III/ Le désir comme manque

 

S'il excède ainsi le simple besoin, c’est que le désir procède d'un manque radi­cal. Déjà Platon soulignait cette caracté­ristique lorsque, dans Le Banquet, il en retrace l’origine à travers le récit mythique de la naissance d'Eros, fils de Pénia (Pauvreté), sa mère, et de Poros (Richesse), son père. Entre dénuement et plénitude, le désir est recherche, et la philosophie, comme amour de la sagesse, en procède. Mais pour Platon, si le désir est ce manque radical, c’est qu’il exprime la nostalgie d’un monde divin et plein. L’âme, prisonnière du corps, doit s’en détacher pour se tourner vers sa véritable patrie, celle des Idées et du Vrai, éternels et indestructibles. Pour la philosophie contemporaine, si le désir est manque et négativité, c'est qu’il témoigne, au contraire, de l’inscription de l’existence humaine dans la tempo­ralité. Sartre, par exemple, lui accorde une importance particulière, parce qu’il y voit l’expression par excellence de la finitude humaine, c’est-à-dire l’ouver­ture de la conscience à la dimension du temps et à la transcendance qui nous porte à un au-delà, à un ailleurs toujours reconduit.

 

Mais définir le désir par la négativité, la privation ou le manque n’en épuise pas la signification. Et c’est sur cette signifi­cation que se joue, au fond, toute une conception de l’homme et de son rap­port au monde.

 

 

 

IV/ Le désir comme puissance d’affirmation et de création

 

Inversant la perspective selon laquelle le désir serait manque et négativité, Spi­noza  est sans doute le philosophe qui affirme le plus vigoureusement la valeur et la positivité du désir. Au lieu de pen­ser le désir comme subordonné à la valeur de la chose désirée — il y aurait de bons et de mauvais désirs — Spinoza considère au contraire le désir comme producteur de valeur. Loin d’être déter­miné par un objet qui lui préexisterait, le désir précède son objet et le produit.

 

C est ainsi que, comme Spinoza l’affirme ' au livre III de son Éthique, nous ne dés­irons pas une chose parce qu’elle est ' bonne, mais au contraire nous la jugens bonne, parce que nous la désirons.

 

Gilles Deleuze, à la suite de Spinoza, souligne le caractère positif du désir. Le < désir est producteur de réalité, ingé­nieux et industrieux. Dans L’Anti-Œdipe, « Gilles Deleuze et Félix Guattari reprochent à la psychanalyse de ne voir « dans le désir qu’une simple machine à produire des fantasmes. Pour Freud, en effet, le désir recherche moins l’objet qu’il croit désirer que le fantasme inconscient dont celui-ci est le support.

 

Le fantasme, à son tour, s’enracine dans le manque qu’engendre la position de l’interdit. Autrement dit, c’est par l’inter­dit que naît le désir. Il n’y aurait pas de désir sans interdit, telle est la thèse fon­damentale de la psychanalyse.

 

 

 

V/ Désir et désir de l’autre

 

En indiquant le rapport du désir au désir de l’autre, la psychanalyse indique cependant quelque chose d’essentiel : nous désirons ce que l’autre désire et que son désir, du coup, promeut comme désirable. (Le désir mimétique)

 

Hegel, dans la Phénoménologie de l'es­prit, montre, à travers la dialectique du maître et de l’esclave, comment 1’homme cherche la confirmation de sa valeur dans la reconnaissance par 1’autre. Pour Hegel, cette reconnaissance prend la forme d’une lutte à mort entre deux consciences. Le vainqueur de cette lutte, le maître, est en effet celui qui accepte de prendre le risque de la mort, marquant ainsi, et de façon radicale,

 

L’ opposition du désir humain au besoin  purement animal de conserver sa vie. Mais si l’esclave est celui qui sort vaincu,  cette lutte, il est aussi celui qui tourne son désir vers le monde, et, par son tra- travail, le transforme et se l’approprie.

 

VI/ Désir et moralité

 

Le désir est souvent blâmé parce qu’ils pousseraient l’Homme à agir contre la moralité comme le souligne souvent Kant. Pourtant le désir peut aussi être le désir de la justice et du bien et nous pousser à venir en aide aux autres ou servir une juste cause. C’est donc sous doute à l’individu de réfléchir aux conséquences de ses désirs et à apprendre à les guider vers ce qu’il estime louables.

 

 

 

 

 

 

Source: Dictionnaire Hatier  La Philosophie de A à Z.

 

 

 


Désir et valeur chez Spinoza :