Terminale HLP – Thème « L’humanité en question »

Créations, continuités, ruptures

 

 

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Les sujets  en littérature explorent souvent la notion de création à travers l’analyse d’une œuvre.

Il s’agit alors de montrer en quoi l’œuvre innove ou rompt avec les formes et les traditions du passé tout en étant capable de mettre en lumière les éléments de continuité qu’ils soient formels, thématiques ou culturels. Autrement dit, il faut savoir articuler rupture et héritage, originalité et influences.

 

🎯 Objectif général du chapitre

Explorer les relations entre création, continuité et rupture, principalement dans le champ  littéraire et artistiquepour comprendre comment les artistes s’inscrivent ou se détachent d’un héritage.

 

  Conseil de travail:   Il est préférable de connaitre  une ou deux références de façon approfondie plutôt que de connaitre plusieurs références de façon superficielle. 

 

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Introduction : 

 

Définition des termes et panaroma historique :

 

🧩 Définition des notions clés du programme: 

1. Création

• Sens originel : faire venir à l’existence quelque chose à partir de rien (ex nihilo).

 

➤ Ce n’est pas une transformation d'une matière déjà existante  mais un acte fondateur comme dans les récits de la création du monde (récits mythologiques, religieux).

 

En art, la création désigne aujourd’hui le fait de produire une œuvre originale.

 

2. Continuité

• Du latin continuare = lien, liaison.

• Idée de transmission, d’héritage, de tradition.

• On parle de continuité quand l’artiste s’inscrit dans une filiation, un prolongement de formes, de thèmes, de styles ou de récits existants.

 

3. Rupture

• notion de coupure, de séparation, de choc volontaire ou radical avec une tradition.

• Elle suppose une volonté de s’émanciper des formes du passé.

 

✍️ À noter : le pluriel des termes dans l’intitulé (créations, continuités, ruptures) invite à penser la diversité des formes de création, de transmission et de contestation.  

 

 🏛️ Perspective historique : le statut de l’artiste

 

Moyen Âge :

• Seul Dieu est véritablement créateur   ex nihilo  (= à partir de rien).  

• L'artiste est perçu comme quelqu'un qui réorganise des formes déjà existantes : il les adapte, les assemble et leur donne une nouvelle expression. (voir des exemples plus bas).

 

Fin du Moyen Âge → Renaissance :

• Le statut de l’artiste créateur commence à émerger.

L’artiste s’impose progressivement comme une personnalité unique et créative.

 

Romantisme (XIXe siècle) :

• L’idée de génie créateur se développe.

• L’originalité devient une valeur essentielle.

• Le génie est celui qui rompt avec la tradition et apporte une oeuvre absolument nouvelle. 

 

 

🧠 Problématiques possibles

• Peut-on être radicalement original ?

• Peut-on créer sans héritage ?

• L’artiste est-il celui qui voit tout en nouveauté ?

(→ Cf. Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne)

• Qu’est-ce qu’hériter en art ?

o Peut-on reformuler une œuvre ancienne ?

 

o À partir de quand une réécriture devient-elle une création ?

 

I .  De l’artisan à l’artiste : une lente émancipation

 

A. L’origine commune entre  art et artisanat

  • Étymologie : ars (latin) = savoir-faire, technique.

  • Jusqu’au XVIe siècle, l’artiste est un artisan : peintre, sculpteur, bâtisseur.

  • L’artisan perpétue (prolonte, transmet) un savoir, il ne crée pas au sens moderne du terme.
    👉 Exemples : les métiers d’art (ébénisterie, vitrail...) mettent en avant importance de la transmission des savoirs faire traditionnels.

B. La séparation progressive : XVIe – XVIIe siècle

 

  • L’artiste s’affirme comme un créateur d’œuvres originales sans fonction utilitaire.

  • Apparition d’un art pour l’art, centré sur l’expression esthétique

II. La tradition classique : créer dans la continuité

 

A. Le modèle humaniste : "l'imitatio" (imitation)

 

 

  • Renaissance jusqu'au  XVIIe siècle : l' imitation des Anciens s'impose dans la production des oeuvres.

  • Exemples :

  • 🎨 Peintures : Les peintres s'inspirent des scènes mythologiques ou religieuses.

  • 👉 Créer, c’est moderniser une œuvre ancienne → la continuité est valorisée.

 

 III La querelle des Anciens et des Modernes

Cette tension entre imitation des modèles passés et création a donné naissance à un querelle entre les partisans des "anciens" et des "modernes" au 17ème siècle.

 

 

• Débat littéraire, artistique et philosophique au XVIIᵉ siècle en France.

• Opposition entre les partisans de l'imitation des œuvres antiques   et les défenseurs de la liberté de création. 

Les « partisans » des  Anciens :

 

• L'imitation des œuvre antiques est perçue comme une garantie de qualité.

• Valorisation de la permanence des modèles classiques de l'Antiquité. 

• Principaux représentants   dans cette querelle Boileau (Satires), Racine (tragédies classiques).

• Sophocle et Euripide : modèles de tragédie antique par excellence.

• Références à 

 Aristote dans la Poétique qui expose les règles du théâtre :

    Unité d'action : une intrigue principale.

   Vraisemblance : créer une adhésion à l'histoie par sa logique interne.

   Catharsis : purification des passions du spectateur.

 

Horace  dans l’art poétique  met en avant la bienséance et l’utilité morale.

 

Les  « partisans » des Modernes :

 

• Défendent l'idée de progrès et la capacité de création des artistes.

• Remettent en cause de la suprématie des modèles antiques.

• Principaux représentants : 

Charles Perrault (Le Siècle de Louis le Grand, 1687)

 Fontenelle (Digression sur les Anciens et les Modernes, 1688).

Illustration de cette querelle au théâtre :

• Corneille : Le Cid : mélange d'éléments tragiques (dilemme d'honneur, duel) et comiques (quiproquos, légèreté de certains personnages).

 Scandale : rupture de l'unité de ton exigée par la tragédie classique.

• Molière : L'École des femmes : innovation comique et satire sociale sur des sujets sérieux (mariage).

 

Conclusion 

• Les Modernes l'ont progressivement emporté.

• La pensée des Lumières a consacré les idées de progrès et de liberté créative.

• Toutefois, l'influence des Anciens reste importante.

• La création artistique oscille entre hommage à la tradition et volonté d'innover.

 

 

  IV. L’art moderne : la rupture comme moteur de création                            

 

La création en art est souvent associée au terme "modernité" mais que signifie exactement cette expression ? 

 Le terme "moderne" désigne d’abord ce qui appartient au présent, mais il a aussi un sens historique lié aux Temps modernes (XVIᵉ siècle). Dans l’art, la modernité renvoie surtout à l'affirmation de l'originalité et du sujet créateur à partir du XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles.

 

  A. L’innovation comme principe (XIXᵉ siècle)

À partir du XIXᵉ siècle, l’idée de rupture devient le principe même de la création artistique.

Créer, ce n’est plus imiter un modèle, mais inventer du nouveau, souvent contre les normes établies.

Exemples :

• Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (1857) : exploration de thèmes modernes.  (la mélancolie, l’ennui, la ville moderne et la condition du poète dans une société en mutation.

Citation : Baudelaire (Salon de 1846) : « Le beau est toujours bizarre. »

 

• Édouard Manet, Le Déjeuner sur l'herbe (1863) : rupture avec les codes picturaux traditionnels.

• Richard Wagner : transformation de l'opéra par le drame musical continu.

 

 

B. La rupture systématique au XXᵉ siècle : les avant-gardes

Au XXᵉ siècle, la rupture devient systématique : l'art veut renverser radicalement les formes, les valeurs et même la définition de l'art.

Exemples :

• Picasso, Les Demoiselles d'Avignon (1907) : naissance du cubisme.

• André Breton, Manifeste du surréalisme (1924) : liberté absolue de l'esprit, abolition de la logique narrative.

• Stravinsky, Le Sacre du printemps (1913) : révolution rythmique et harmonique.

• Marcel Duchamp, Fontaine (1917) : remise en question de la notion d'œuvre d'art.

La modernité artistique devient une quête permanente de rupture.

Citation : André Breton, Manifeste du surréalisme (1924) : « Il s'agit de faire éclater les barrières de la raison. »

C. D'autres Exemples :

 

  • 🎨 Fauvisme, cubisme, surréalisme, dadaïsme.

  • 📖 Apollinaire, Cendrars → rupture stylistique.

  • Surréalistes (Desnos, Eluard, Breton) → rêve, inconscient.

  • Boris Vian, L’Écume des jours → univers fantaisiste, absurde.

V  La décontruction des modèles anciens

A. Le Nouveau Roman (années 1950)

  • Butor, Robbe-Grillet, Sarraute : rejet de la narration classique.

  • Déconstruction des repères : pas de personnages nets, pas de récit linéaire.

📌 En théâtre : Beckett, Ionesco → théâtre de l’absurde.

B. L’art conceptuel : remise en cause de l’œuvre

  • 🎶 John Cage, 4’33’’ → le silence comme musique.

  • 🎨 Yves Klein → tableaux monochromes.

👉 L’œuvre perd parfois tout repère, jusqu’à choquer ou dérouter.


VI. Créer entre fidélité et nouveauté : 

 

A. Innover sans rompre

  • Citation de Paul Valéry :
    « Rien de plus original, rien de plus soi que de se nourrir des autres. »
    👉 La rupture n’est pas toujours nécessaire : on peut réinterpréter sans détruire.

B. Exemples de continuité créative

  • 🎭 Théâtre :

    • Giraudoux, Anouilh, Cocteau, Sartre → mythes revisités.

  • 📚 Roman :

    • Proust → introspection moderne, héritage de Balzac.

    • Céline → style oral, narration picaresque.

    • Réécritures :

      • Robinson Crusoe → Tournier, Golding, Chamoiseau.

      • Don Juan → de Tirso de Molina à Molière, Frisch, Handke…

📖 Gérard Genette : la création littéraire est un palimpseste = réécriture d’un texte sous un autre.


Conclusion

 

  • L’artiste ne crée jamais ex nihilo - ex nihilo nihil = rien n'est crée à partir de rien

  • L'artiste  hérite, transforme, renouvelle.

  • La création artistique est un dialogue permanent entre continuité et rupture.

  • La modernité n’est pas le rejet pur du passé, mais souvent une transformation audacieuse.