Cours Terminale HLP
L’éducation – Emancipation ou aliénation ?
Introduction
L’être humain, à la différence de l’animal, ne naît pas "fini" : il doit apprendre à marcher, à parler, à vivre en société. Il ne
possède pas naturellement les outils pour survivre ou s’orienter dans le monde : il a besoin d’être éduqué. L’éducation apparaît donc comme une nécessité vitale pour l’homme. Mais en même temps,
cette éducation n’est jamais neutre : elle transmet des normes, des valeurs, des modèles de conduite. Elle peut enfermer, conditionner, empêcher de penser par soi-même. Ainsi, l’éducation, qui
semble indispensable pour devenir un être humain accompli, peut aussi être un instrument de domination.
Comment penser cette tension ? L’éducation nous rend-elle véritablement libres ou bien nous impose-t-elle des limites ? En d’autres termes : est-elle un outil d’émancipation ou un moyen
d’aliénation ?
I. L’éducation, une nécessité pour devenir pleinement humain
L’homme, un être inachevé par nature : « On ne nait pas Homme, on le devient » écrit Erasme. Ce que souligne cette formule, c’est que l’homme ne dispose d’aucun instinct suffisant pour le guider dans la vie. Il doit apprendre à vivre, à raisonner, à distinguer le bien du mal. Sans éducation, il reste à l’état brut, dominé par ses pulsions, incapable de vivre en société.
L’éducation est donc ce qui permet à l’enfant de s’élever au-dessus de sa nature première. Elle forme le jugement, affine la sensibilité, développe les facultés intellectuelles. En ce sens, elle
est une "seconde nature", qui complète et transforme notre être biologique.
Kant : "L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation"
Emmanuel Kant, dans ses Réflexions sur l’éducation, affirme que l’éducation est ce qui fait de nous des êtres humains
à part entière. L’homme doit être discipliné, cultivé, civilisé, puis moralisé. Cela signifie qu’il doit apprendre à maîtriser ses instincts, à développer ses capacités, à vivre avec les autres,
et enfin à agir librement selon des principes moraux.
L’objectif ultime de l’éducation, pour Kant, est de conduire l’enfant vers l’autonomie : la capacité à se donner à soi-même ses propres lois. Ainsi, l’éducation ne doit pas viser la simple
obéissance, mais le développement de la liberté intérieure.
II. L’éducation peut aussi être un conditionnement
L’éducation comme reproduction des normes sociales
Mais si l’éducation est indispensable, elle n’en reste pas moins un outil social. En tant que telle, elle transmet les normes, les traditions, les valeurs d’une société. Comme l’a montré Émile Durkheim, l’éducation a pour fonction de socialiser l’individu, de lui faire intégrer les règles qui permettent de vivre ensemble. L’ école est aussi le lieu de la normalisation et de la surveillance des individus selon Michel Foucault.
Ainsi le risuque de l’éducation est de conditionner les individus, de leur interdire de penser autrement que ne le veut le système . Une éducation trop rigide, trop autoritaire, peut étouffer la
créativité, briser la liberté de penser, imposer un seul modèle de vie.
Simone de Beauvoir : l’éducation des filles comme soumission
Simone de Beauvoir, dans Le Deuxième Sexe, analyse très précisément la manière dont les filles sont éduquées. Elle montre que les petites filles ne sont pas seulement socialisées : elles sont assignées à un rôle. On les encourage à être sages, à se taire, à obéir, à rêver au mariage et à la maternité.
Elle écrit : « On ne naît pas femme, on le devient. » Par cette formule célèbre, elle dénonce l’éducation différenciée qui pousse les filles à accepter leur infériorité sociale comme naturelle.
L’éducation n’est donc pas toujours libératrice : elle peut être un outil d’oppression, une manière de perpétuer des inégalités.
III. Penser une éducation véritablement émancipatrice
Kant et les Lumières : apprendre à penser par soi-même
Pour Kant, éduquer, ce n’est pas remplir un esprit vide de savoirs, mais apprendre à penser par soi-même. Dans son texte
Qu’est-ce que les Lumières ?, il définit les Lumières comme "la sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable". Être mineur, c’est ne pas savoir se servir de sa raison sans
être dirigé par un autre.
L’éducation doit donc viser l’éveil de l’esprit critique, non l’obéissance. Elle ne doit pas imposer des vérités toutes faites, mais donner les outils pour juger par soi-même, pour résister aux
opinions toutes faites, aux préjugés, aux manipulations.
Vers une pédagogie de la liberté :
C’est dans cette perspective que des pédagogues comme Paulo Freire ou Philippe Meirieu ont développé l’idée d’une éducation
critique. Freire, dans Pédagogie des opprimés, critique une éducation "bancaire", où l’on déverse des savoirs dans l’élève sans interaction. Il propose au contraire une éducation dialogique, où
l’élève participe activement à la construction du savoir, prend conscience de sa situation et peut agir sur le monde.
Pour Meirieu, éduquer, c’est résister : résister à la tentation du dressage, du formatage, et faire le pari de la liberté. Il faut apprendre à l’élève non pas à répéter, mais à inventer, à
penser, à créer du sens.
IV. L’éducation, fondement de la démocratie
Une éducation pour former des citoyens . Dans une démocratie, le pouvoir appartient au peuple. Mais pour que ce pouvoir ne soit pas aveugle, manipulé ou détourné, il faut que chaque citoyen soit éclairé, informé, capable de juger par lui-même. La démocratie ne peut fonctionner durablement sans une population instruite.
C’est pourquoi l’éducation du peuple a toujours été un enjeu politique majeur. Après la Révolution française, Condorcet propose de rendre l’instruction publique et obligatoire. Il écrit : «
L'instruction doit être universelle et uniforme, parce que dans une république, chaque citoyen doit savoir juger par lui-même. »
Apprendre à lire pour exercer son rôle de citoyen
Au XIXe siècle, ce projet prend une forme concrète avec les lois Ferry (1881-1882), qui rendent l’école gratuite, laïque et
obligatoire en France. Il ne s'agit pas seulement d’éduquer pour former des travailleurs, mais aussi de former des citoyens responsables, capables de lire un journal, comprendre un programme
électoral, suivre un débat public.
L’alphabétisation est donc un acte politique : c’est une manière d’inclure chacun dans la communauté politique. À l’inverse, priver une population d’éducation, c’est la priver de sa liberté et de
ses droits civiques.
La démocratie implique la délibération collective, la capacité à écouter d’autres points de vue, à argumenter, à exercer sa pensée critique.
C’est pourquoi l’éducation doit aussi former à la discussion, à l’argumentation, au respect des idées contraires. Elle prépare ainsi non pas des individus soumis, mais des citoyens actifs ce qui
explique par exemple pourquoi l’enseignement de la philosophie tient une place importante dans le système scolaire français.
Conclusion
L’éducation est une condition essentielle pour devenir pleinement humain : elle nous sort de l’animalité, elle permet de développer nos facultés. Mais elle n’est jamais neutre. Elle peut transmettre des préjugés, renforcer des dominations, empêcher l’autonomie. C’est pourquoi il faut sans cesse interroger l’éducation, la repenser pour qu’elle reste fidèle à sa vocation la plus haute : former des êtres libres et reasponsables.
Dans un monde saturé de normes, de modèles et d’informations, éduquer à la liberté devient plus difficile… mais aussi plus nécessaire que jamais. L’éducation doit-elle alors s’adapter aux attentes sociales ?
Éducation : processus par lequel une personne acquiert des connaissances, des savoir-faire, des valeurs et des repères culturels, lui permettant de se construire comme être humain et citoyen.
Transmission : action de faire passer un savoir, une expérience, des normes ou des valeurs d’une génération à une autre. Elle peut être formelle (par l’école) ou informelle (par la famille, la culture).
Émancipation : libération d’une tutelle ou d’une dépendance, notamment intellectuelle, sociale ou politique. En éducation, cela désigne le processus qui mène à l’autonomie.
Autonomie : capacité à se déterminer librement par sa propre raison, à se gouverner soi-même sans dépendre de l’autorité d’autrui.
Conditionnement : processus par lequel un individu est amené à adopter des comportements ou des idées sous l’effet d’une influence extérieure, souvent inconsciente ou intériorisée.
Minorité (au sens kantien) : état d’un individu qui ne pense pas par lui-même et dépend de l’autorité ou du jugement d’un autre.
Citoyenneté : statut de membre d’une communauté politique, impliquant des droits (ex. : vote) et des devoirs (ex. : respecter les lois). Elle suppose une formation intellectuelle et morale.
Alphabétisation : apprentissage de la lecture et de l’écriture, considéré comme un préalable à la participation démocratique.
Socialisation : processus par lequel un individu intériorise les normes, les règles et les valeurs de la société à laquelle il appartient.
Emmanuel Kant
Réflexions sur l’éducation (1803)
Qu’est-ce que les Lumières ? (1784)
➝ Pour la définition de l’éducation comme chemin vers l’autonomie.
Blaise Pascal
Pensées (posthume, 1670)
➝ Pour l’idée que l’homme est faible par nature mais grand par l’esprit.
Simone de Beauvoir
Le Deuxième Sexe (1949), tome II
➝ Analyse critique de l’éducation différenciée des filles.
Émile Durkheim
L’éducation, sa nature, son rôle (extraits de conférences)
➝ L’éducation comme instrument de socialisation.
Condorcet
Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791-1792)
➝ Défense de l’éducation universelle et laïque comme fondement de la démocratie.
Paulo Freire
Pédagogie des opprimés (1970)
➝ Critique de l’éducation « bancaire » et plaidoyer pour une pédagogie dialogique.
Philippe Meirieu
Pédagogie : le devoir de résister (2014)
➝ Réflexion contemporaine sur la mission émancipatrice de l’école.