Cours Terminale HLP

Le corps définit-il notre identité ?

 

La question de l'identité personnelle nous confronte à une interrogation essentielle : qui suis-je ? Si notre identité semble d'abord se construire par l'expérience intime que nous avons de nous-mêmes, elle est aussi indissociable du regard que les autres portent sur nous, souvent fondé sur notre apparence physique.

Or, notre corps est ce qui nous rend visibles, reconnaissables, mais aussi potentiellement réductibles à des caractéristiques biologiques ou sociales. Cette réduction peut même, dans certains cas, se transformer en violence symbolique ou sociale. Peut-on alors dire que notre corps définit notre identité ? Sommes-nous notre corps ou bien l'habitons-nous simplement ? En d'autres termes, le corps est-il une simple enveloppe, un signe extérieur, ou bien le fondement même de notre identité ?

 

 

Plan  détaillé :

I. Le corps, support apparent de notre identité

A. Le corps comme point de départ de la conscience de soi

  • Le stade du miroir (expression rendue reprise par le psychanalyste Jacques Lacan) : entre 6 et 18 mois, l’enfant se reconnaît dans un miroir, ce qui marque une étape essentielle dans l’élaboration de son identité psychique.
  • Le regard des autres façonne notre perception de nous-mêmes dès l’enfance.

B. L’identité sexuée et la construction du genre

  • Données biologiques : XX (fille), XY (garçon), mais il existe des cas  très rares intersexes (ex. : syndrome de Klinefelter).
  • Judith Butler (Troubles dans le genre, 1990) : Selon Buttler le genre est une construction sociale  produit par un système de normes culturelles. (ex : les jeux de poupées pour les filles).
  • Simone de Beauvoir (Le Deuxième Sexe, 1949) : « On ne naît pas femme, on le devient » – critique de la hiérarchisation sociale genrée.

C. Le corps dans ses variations : âge, couleur de peau, validité

  • L’âge : le « double standard de la vieillesse » selon Susan Sontag. Vieillir est valorisé chez les hommes mais dévalorisé chez les femmes.
  • La couleur de peau : Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs (1952), montre la violence symbolique liée à la racialisation de l’apparence : le sujet noir est réduit à son corps. (On lui attribue un comportement en fonction de son corps).
  • Le handicap : Michel Foucault, La Volonté de savoir (1976) : le pouvoir normalise les corps jugés « déviants », les réduit à des identités figées, non choisies. 

 

II. Réduire l’identité au corps : les risques du réductionnisme

A. Réification et objectivation

  • Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant (1943) : le regard de l’autre nous « fige » dans une image, nous transforme en objet, nous vole notre subjectivité.
  •  Le regard de l'autre fige dans une image- et nous juge -   "l'enfer, c'est les autres" Huis clos

 

B. Théories biologisantes et dangereuses

  • César Lombroso (L’homme criminel) : croyance que les traits physiques révèlent une nature criminelle.    Traits décrits comme signes de déviance : mâchoire lourde, asymétrie crânienne, arcades saillantes.
  • Arthur de Gobineau : racisme "scientifique", hiérarchisation des races selon le volume crânien  et les capacités intellectuelles.

Bien que fausses ces théories ont exercé une influence dans certains domaines comme la criminologie et sur les préjugés racistes.  

 

III. Le corps comme moyen d’expression et de réappropriation de soi

A. Le corps comme espace de résistance ou d’expression

  • Le tatouage, le sport, l’art corporel sont des manières de signifier son identité de façon active.
  • Le corps devient acteur de la construction de soi : il n’est plus subi, mais travaillé, transformé, investi de sens.

B. Le corps entre norme sociale et création de soi

  • Il est à la fois lieu d’imposition (règles de beauté, genre, performances physiques) et lieu de libération, notamment par les pratiques esthétiques ou culturelles.
  • Bourdieu, La Distinction : les pratiques corporelles varient selon la classe sociale et reflètent l’habitus (capital culturel, économique, social).

 

IV . Le problème métaphysique -

(Le terme métaphysique désigne une branche de la philosophie qui s’interroge sur la nature des choses au-delà de ce qui est observable ou mesurable).  

La conscience humaine se réduit-elle au corps ?

La question de l'identité engage aussi un débat métaphysique fondamental : notre conscience, notre "moi pensant", est-elle inséparable de notre corps ou peut-elle s'en distinguer ?   Un débat intense  persiste jusqu’ à aujourd’hui.

  • Descartes, dans le Discours de la méthode et les Méditations métaphysiques, soutient le dualisme : l'âme (ou la pensée) et le corps sont deux substances distinctes. Le célèbre "Je pense, donc je suis" affirme une existence de la conscience indépendamment de tout corps.
  • Henri Bergson (« Matière et mémoire ») refuse  le réductionnisme biologique : la mémoire humaine ne peut être ramenée à des phénomènes neuronaux. Elle est liée à la durée, à la conscience, à une vie de l'esprit irréductible  à la matière
  • À l'inverse, des approches scientifiques comme celle de Jean-Pierre Changeux (L’Homme neuronal) affirment que nos pensées, nos choix, nos souvenirs sont totalement inscrits dans le cerveau. Notre identité ne serait qu'un produit de l'activité neuronale.

Ce débat reste ouvert : même si les neurosciences progressent, elles ne parviennent pas encore à saisir l'expérience subjective dans toute sa profondeur.

 

V     Le souci de soi et l’importance du corps chez Nietzsche

Friedrich Nietzsche critique la séparation entre l’âme et le corps et insiste sur l’importance de veiller à ses conditions physiques d’existence . Dans Ecce Homo (1888), il affirme que la pensée est profondément liée au corps, à la santé,  au climat, à l’hygiène et surtout à l’alimentation.

 

Ainsi pour Nietzsche, le souci de soi ne passe pas uniquement par la réflexion ou la spiritualité mais aussi par l’attention portée au mode de vie corporel. En renversant l’idéalisme, Nietzsche affirme que le corps est la condition même de la pensée.  ( Sans le corps on ne pourrait pas penser, un corps affaibli ou malade ne permet pas de bien penser).

 

 

Conclusion :  

 

Notre identité ne peut se réduire à notre corps, bien qu’il en soit une dimension fondamentale. Il est à la fois ce par quoi nous sommes perçus, ce que nous construisons, et ce que nous devons parfois défendre contre des pouvoirs et les tentatives de dominations.

 Si le corps peut enfermer l’individu dans une apparence, il peut aussi devenir le support d’une identité choisie, réappropriée, affirmée. La véritable identité est alors à chercher dans la dialectique entre le corps subi et le corps choisi. 

 L’importance que prend le corps dépend aussi d’une interprétation philosophique voire religieuse sur l’existence d’une âme indépendante du corps et sur l’influence du corps sur la pensée.  

 

 

Bibliographie  

  • René Descartes, Discours de la méthode, 1637.
  • René Descartes, Méditations métaphysiques, 1641.
  • Henri Bergson, Matière et mémoire, 1896.
  • Jean-Pierre Changeux, L’Homme neuronal, 1983.
  • Emmanuel Lévinas, Totalité et Infini, 1961.
  • Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, 1943.
  • Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, 1853-1855.
  • César Lombroso, L’Homme criminel, 1876.
  • Judith Butler, Troubles dans le genre, 1990.
  • Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, 1949.
  • Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952.
  • Michel Foucault, La Volonté de savoir, 1976.
  • Pierre Bourdieu, La Distinction, 1979.
  • Susan Sontag, The Double Standard of Aging, in The Saturday Review, 1972.
  • Jacques Lacan, Écrits, 1966 (pour le "stade du miroir").
  • Nietzsche,  Ecce Homo , 1888

 

 

 

Télécharger
le_corps_definit-il_notre_identite_1 (3)
Présentation Microsoft Power Point 12.9 MB